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Camille n’en doutait pas. Autour d’elle, des oncles, des tantes, des amis avaient subi des opérations et ne s’en portaient que mieux. Sans cesse, au hasard des propos, revenaient des phrases de ce genre : « C’était avant son opération… » — « Le docteur Tréhun, qui m’a opérée… » — « Depuis mon opération je peux manger de tout… » Cela semblait marquer une halte dans la vie, un point de repère, — comme on dit : « Après mes années de service » ou « avant mon mariage ». — « Et tous ces gens-là ne sont pas solides comme papa », songeait Camille en évoquant avec orgueil la haute taille, les larges épaules, les cheveux drus et bouclés de M. Dayrolles.

Ce n’était donc pas à lui qu’elle pensait ce matin-là en s’en allant dans la rue, silencieuse et la mine absorbée. Depuis sa conversation avec Julien Lacoste, ses pensées avaient suivi une direction nouvelle. Si elle n’avait pas modifié sa coiffure ni sa toilette enfantines, c’était un peu par habitude, un peu par paresse, et pour ne pas surprendre ceux qui l’entouraient. Elle attendait un événement, je ne sais quoi d’important ou d’imprévu pour inaugurer sa vie nouvelle.

Mais elle n’envisageait plus cette vie toute prochaine comme un désert monotone et morne, et petit à petit, d’avance, elle en comblait les vides, la peuplait de projets et de rêves neufs. Ce n’était plus sous les traits d’un homme, explorateur ou marin, qu’elle se voyait lorsque le soir, dans son lit, elle appelait l’avenir.