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criquet

L’an dernier, j’aurais sauté sur ce poulpe, j’aurais passé mes deux pouces dans la poche qui lui sert de tête, je l’aurais retournée comme on retourne sa vraie poche, et j’aurais suspendu à ma ceinture le scalp de l’ennemi ! Au lieu de cela, je me sauve !… Est-ce que je me suis efféminée, comme Télémaque dans l’île de Calypso ?… Pauvre poulpe ! Que ses yeux étaient tristes ! Qu’il avait l’air malheureux de mourir !… Et moi qui suis si contente aujourd’hui… Je me dégoûte ! Sans compter que j’ai laissé là-bas ma plus belle flèche… »

Là-dessus, Camille arrive au bord d’une large crevasse, la mesure de l’œil, se tâte un instant. Houp !… Le saut est trop court. Elle effleure du pied l’autre bord, essaie vainement de s’y agripper avec les ongles, glisse le long de la paroi mouillée, dégringole à grand bruit et s’étale au fond entre des pierres bleues et lisses. Un coup de reins : elle s’assoit et se rend compte, tourne la tête, fait mouvoir ses bras et ses jambes. Bon ! rien de cassé. Une petite chute d’ailleurs, à peine trois mètres. On en a vu d’autres ! Seulement, le mollet gauche a râclé contre la paroi, et la peau s’enlève comme celle d’une pomme de terre nouvelle : c’est d’abord blanc, ça devient peu à peu violet, enfin voici du rouge.

« On dirait l’ami poulpe », constate Camille, philosophe.

Puis, comme ça brûle dur, elle attrape sa jambe