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formée, Jeanne Lasalle, qui n’a guère que quelques mois de plus que Criquet. Avec sa jupe blanche, presque longue, découvrant le petit soulier noir, sa taille déjà cambrée, sa figure ferme et ronde blottie dans une chevelure de cendre bise, son cou qu’elle gonfle, ses regards malicieux, sa bouche humide, tantôt pincée et tantôt épanouie, c’est vraiment une femme. Et comme elle manie son éventail, le faisant palpiter avec une nonchalance onduleuse, ou le fermant d’un petit coup sec du poignet qui retombe, souple comme une tige !

— Où a-t-elle appris tout cela ? se demande Camille stupéfaite. Quelle jolie figure elle a !…

Criquet soupire un peu. Elle essaie de se rappeler cette Jeanne bredouillant d’une voix pâteuse au catéchisme, pleurant quand elle tombait ou trichant aux barres, avec un air pleutre et sournois. Mais elle sent qu’ici ces choses n’ont guère d’importance.

Ses yeux cherchent une glace. En se haussant sur la pointe des pieds, elle aperçoit une seconde son visage en pointe, trop pâle, la saillie de ses pommettes, ses yeux un peu gonflés, son expression gauche et maussade, sa robe étriquée aux épaules, large à la taille, son cou engoncé dans un col qui l’étrangle. Et son cœur se serre. Pour la première fois elle regrette de n’être pas jolie. Jusqu’alors, elle le constatait sans rancœur. Elle disait avec simplicité : « Je ne suis pas belle », comme on remarque : « J’ai les yeux noirs »,