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cœur. Michel la délaissait. Michel embrassait des femmes en cheveux, des femmes mariées.

La vie ne finit donc pas quand on est marié ? L’amour n’est pas le sentiment simple et facile qu’elle s’imagine, la formalité qui précède le mariage, aussi obligatoire que la robe blanche et les cadeaux ? Il lui apparaît tout à coup comme un mystère trouble, effrayant. Elle s’aperçoit obscurément qu’elle ignore bien des choses et que ces choses ne sont pas gales.

Le ton de Michel, son rire, ses coups d’œil vers la femme au ruban rouge, la soulèvent de dégoût : « Je ne l’aime plus, je ne l’aimerai plus jamais », dit-elle tout haut, et elle galope, sans souci de sa fatigue oubliée, elle assène des coups plus violents sur son cerceau qui vibre, bondit et file sur le sol glacé.

Elle s’arrête enfin, hors d’haleine. Michel et miss Winnie apparaissent au loin, tout petits et noirs sur le fond terne ; les arbres forment un lacis de lignes embrouillées qui se confondent. Il n’y a dans les taillis que des feuilles sèches qui ont perdu leurs belles couleurs d’automne, et des mottes de terre durcie. Le cerceau, après avoir lentement tourné sur lui-même, s’affaisse près d’une petite rivière, immobile sous une couche de glace. Camille se penche : tout semble mort là-dessous. Elle se rappelle la même rivière au printemps, le fond de sable doré par le soleil, les têtards aux énormes têtes jaunes, aux