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criquet

crissements légers, menus grincements, susurrements et clapotis indistincts, tout le fourmillement d’innombrables vies invisibles et mystérieuses…

« J’entends respirer les crabes tourteaux », pense Camille.

Mais, au fond d’une mare, près d’une grosse pierre, elle vient d’apercevoir une algue mauve, qui bouge. L’œil avivé, le corps en arrêt, le souffle suspendu, elle attend… L’algue s’allonge, se recourbe, se fleurit soudain de bourgeons verdâtres, jette une tige nouvelle qui croît à son tour, serpente, fleurit : puis c’en est une troisième, une autre ensuite, une autre encore ; toutes ces tiges s’élargissent enfin en un bouquet mouvant dont le cœur est une fleur ronde et flasque aux teintes changeantes. Et cet étrange bouquet s’avance par poussées lentes et régulières qui troublent l’eau, chassent les crevettes effarées, agitent sur le sable fin les mousses et les coquillages vidés.

— Un poulpe !

Camille est rouge, les dents aiguës, les narines élargies ; elle exécute sur la pointe de ses espadrilles une danse muette, attire son carquois, bande d’une corde à violon son arc d’acier, choisit une flèche dont elle tâte la pointe, la place sur l’arc qu’elle tend, et se couche doucement sur un rocher surplombant la mare.

Mais sur la fleur qu’elle guette s’ouvrent soudain deux grands yeux d’or.