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la plus grande parte de leur temps. Et Criquet immobile comptait pendant de longues heures les feuilles vertes qui entouraient les pavots bleu pâle courant en frise le long du mur : « Le bouton en a trois, la fleur, quatre… »

Ou bien elle écoutait vaguement sa sœur qui, dans le salon, déchiffrait des sonates de Beethoven, hésitant, s’arrêtant parfois, tandis que continuaient imperturbables les claquements du métronome et la voix fausse de miss Winnie, psalmodiant : « Un, deux, trois… Un ! »

C’était la vie quotidienne avec ses détails secs et précis, la vie sans imprévu, monotone et morne, que demain elle reprendrait.

Une légère douleur, entre les épaules, là où la peau tannée par l’iode se détachait en lambeaux de cuir brun, lui procurait une minute de distraction.

Puis les questions maladives qu’elle s’était posées naguère s’emparaient de nouveau de son esprit.

— Pourquoi, mais pourquoi suis-je moi ? se demandait-elle tout bas.

Quand elle apercevait dans la glace, entre les écrans de paille tressée, la tache presque rose de ses cheveux, un œil qui bougeait, un doigt dressé, mince et blanc :

— Comment est-ce que je sais que ça, c’est moi ? murmurait-elle avec une surprise alanguie. Est-ce que je suis moi parce que je dis que je suis moi ?

À plusieurs reprises, elle répétait du bout des lèvres