Trois fois de suite le même rêve l’avait saisie, mais à la dernière, sa chute ne l’avait pas éveillée : elle était tombée jusqu’à l’eau qui, froide et molle, s’était refermée sur sa tête, insinuée autour d’elle, en elle. Immobile, alourdie, sans conscience et sans souffrance, elle demeurait au fond, comme une éponge gonflée.
Maintenant, il faut se lever. D’ordinaire, elle saute du lit, heureuse de bouger, de revivre. Il lui semble ce matin qu’elle ne pourra jamais arracher sa tête de l’oreiller. Ça y est. Si pesante tout à l’heure, elle sent cette tête légère comme une fleur de pissenlit, une large boule de duvet que le vent effiloche… Pourquoi son corps, ses jambes sont-ils devenus si lourds ? L’a-t-on vraiment changée en éponge ? Ou bien est-elle retenue par mille petits liens, comme l’infortuné Gulliver ?
Elle a laissé glisser ses jambes jusqu’à la descente de lit ; la fenêtre, la cheminée, la table sculptée, le Racine de bronze assis sur la pendule se mettent à valser autour d’elle ; le parquet monte et descend, comme la barque de Le Bihan, le jour de la tempête ; et accrochée aux montants du lit elle contemple vaguement ses pieds, taches blanches sur le tapis rouge ; mais tout à coup l’œil hagard, la bouche tordue, les bras en croix, elle bondit à travers la chambre jusqu’à la porte :
— Oh ! Suzanne, Suzanne, crie-t-elle éperdue,