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criquet

pourrais pas avoir de peines… Vous avez bien de la chance, monsieur Poiret !

Et elle contemple avec envie le long corps voûté, la redingote élimée, le pantalon en spirale.

M. Poiret demeure une seconde, les yeux absents posés sur le Racine de bronze, la bouche entr’ouverte sur ses dents noircies, les joues travaillées de soubresauts. Il remonte ses épaules étroites et pousse un soupir long et profond.

— En effet, mademoiselle, j’ai beaucoup de chance, beaucoup, en vérité, déclare-t-il, lugubre.

Criquet lit sur son visage tant de lassitude et de lamentable ironie qu’elle éprouve un léger remords. Peut-être, après tout, les hommes ont-ils également leurs soucis ? Pauvre M. Poiret ! Elle lui tend le livre aux pages écornées :

— Tenez, lui dit-elle gentiment, puisque vous préférez un autre passage, cherchez vous-même…

Et pendant toute la leçon, elle explique d’une voix douce, appliquée, avec des coups d’œil déférents.


Puis elle est seule de nouveau. Il fait presque nuit ; la chambre est emplie d’un crépuscule jaune qui salit les murs. Pourtant, il ne fait pas assez noir pour donner de la lumière.

Une feuille de papier traîne sur la table. Criquet la saisit et y inscrit en grosses lettres :

« Je voudrais devenir un garçon… »