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criquet

buée humide. Criquet y inscrit son nom, la date, — 10 novembre, — puis une belle étoile dessus et dessous. À travers l’écriture, son visage apparaît, un peu brouillé :

« Michel a raison… Comme je suis laide ! » se dit-elle.

Elle contemple gravement ses yeux qui paraissent tout petits parce qu’ils sont ternes et gonflés, son nez couvert de minuscules boutons rouges, ses joues creusées sous les pommettes.

Elle les frotte avec ses deux poings : il n’y vient pas de rose. Ses lèvres sont fendillées, gercées, épaisses comme des lèvres de nègre. Quand elle sort, le froid les irritant, on les lui fait cacher sous un rond de soie noire doublé de blanc qui s’attache aux oreilles par deux lacets. On la regarde dans la rue. Deux dames anglaises, ont dit en la voyant : Poor child ! Consumptive… Criquet s’en est sentie rehaussée à ses propres yeux. Pourtant elle sait bien qu’elle n’est pas tuberculeuse ; elle ne s’enrhume jamais…

— Tu traverses la Mésopotamie en ce moment, mon pauvre Criquet, lui a dit papa l’autre jour.

— La Mésopotamie ?

— Un vilain pays aride où les Hébreux piétinèrent longtemps avant d’arriver à la Terre Promise.

— Je n’y comprends rien, papa.

— Je veux dire que tu es en plein dans l’âge ingrat.