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s’arrêtent. Elle ne sent maintenant que son cœur plus gros et plus pesant…

Michel n’est plus son ami. Les jeudis et les dimanches, c’est à peine s’il passe quelques minutes auprès d’elle, toujours distrait, parlant vite, avec une expression gauche et violente. Sa figure est traversée de tics brusques, son regard, de pensées incompréhensibles. Il ne s’occupe d’elle que pour rire à grands éclats rauques de « sa taille ossifiée », comme il dit, de ses joues pâles, de son air morne. Parce qu’elle souffre de son abandon et se tait par fierté, il l’accuse de bouder, la traite de fille et lui tourne le dos.

— Il ne s’aperçoit même pas que j’ai du chagrin, soupire-t-elle tristement.

Sans lui, d’ailleurs, comment exécuter le grand projet ? Elle a décidé de s’habiller en garçon, de fuir, d’aller au Havre ou à Marseille et de s’engager comme matelot à bord d’un bâtiment de commerce. La marine marchande vaut bien, après tout, la marine de l’État : on arrive plus vite et il n’y a pas de concours : rien que de l’énergie et de la ténacité. Dieu sait quelle provision Criquet en amasse !

Déjà elle a mis de côté un ancien costume de Michel, un peu long, un peu large, mais facile à arranger. Deux détails l’arrêtent pourtant : comment pourra-t-elle se couper les cheveux toute seule ?

Aller chez un coiffeur ? Impossible sans exciter les soupçons… Non, c’est à Michel qu’elle confiera ce