Page:Viollis - Criquet, 1913.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.
6
criquet

qu’elle tombait toujours d’une épaule sur l’autre, et cependant elle la sentait vide comme une tête de pavot ; le plancher ondulait autour d’elle comme les vagues de la mer, et quand elle aplatissait son nez contre les vitres pour voir le dehors jaune et triste, le froid des carreaux lui entrait peu à peu dans le cœur. Puis, quelle odeur chaude, écœurante, d’iode, de moutarde, de farine de lin !

On lui défendait de lire, les jours n’en finissaient plus. Mais voici que dans un coin du tiroir elle avait découvert ce petit volume. Comme elle l’avait de suite aimé ! Il parlait de soleil, d’arbres à fruits d’or, de batailles et de longs voyages sur la mer tumultueuse… Elle lisait ces aventures surprenantes, assise par terre sur le tapis, et, quand on entrait, elle cachait bien vite le livre sous un fauteuil à franges.

Depuis, elle ne s’en est plus séparée. Elle connaissait dans tous ses détours l’île délicieuse de Calypso, pareille sans doute à l’île Aulivain ; elle admirait le courage modeste et les yeux de feu du jeune Télémaque, et les longs discours de Mentor lui semblaient bien moins ennuyeux que ceux de miss Jenkins, son institutrice.

Un jour, Télémaque disparut. Les livres se perdent moins facilement que les mouchoirs, mais ils se perdent. Quelle joie de le revoir !

Elle l’entrouvre doucement, comme un coffret précieux. Mais les pages apparaissent toutes souillées,