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tout à coup sentie très vieille, toute triste et pleine d’effroi. Puis elle avait oublié…

Aujourd’hui, le même sentiment revient, plus proche, plus réel, chaque jour il grandit et s’étend sur le cœur alourdi de Criquet.


Immobile maintenant devant le buffet ouvert de la salle à manger, Criquet hésite. Que prendre pour son goûter ? Du chocolat qu’elle mettra un instant dans le four de la cuisine pour le changer en pâte chaude et fondante ? Une orange qu’on troue, qu’on bourre de sucre et dont on tète ensuite le jus ? Ou bien des biscuits dans de l’eau rougie et sucrée ? Problème.

Les petits, silencieux, lèchent une tartine, tout barbouillés de confitures, et miss Winnie ingurgite de larges rasades d’une tisane amère, de la centaurée, — qui a de si jolies petites fleurs roses, pense Camille.

— C’est bon pour le teint, prononce l’Anglaise, le visage stoïque.

Mais Camille tout à coup entend une voix dans le petit salon voisin où se trouve sa mère, une voix étrange qu’elle connaît et ne connaît pas, parfois grave avec des sonorités de bronze et parfois, plus rarement, fine et claire, tout cela traversé de notes enrouées comme en ont certains coqs de grand matin, dans le noir. Et voici un rire semblable à un coasse-