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a permis de garder leurs chaussettes ; quant à elle, ce serait inconvenant, paraît-il.

Et ce n’est pas pour eux qu’on va maintenant chez la couturière.

Camille marchait très droite, les deux mains dans les poches de son paletot de ratine bleue qui, avec sa coupe à l’ordonnance, ses boutons dorés et ses ancres lui donnait, pensait-elle, l’air viril d’un enseigne de vaisseau. On le lui avait acheté, l’année dernière, au rayon des garçons d’un grand magasin car, dans ce temps-là, il ne s’agissait pas de l’habiller en femme.

Les passants la regardaient, surpris de ce visage boudeur, si brun entre les mèches claires. Depuis son retour dans l’appartement encore privé de tapis et de rideaux, Criquet restait sombre, désorientée. Tout lui semblait différent : elle-même ne se reconnaissait plus, le visage allongé, la bouche triste, les yeux ternis ; et les autres ne semblaient pas davantage la reconnaître : « Comme vous avez grandi ! Comme vous avez l’air sérieux ! À la bonne heure ! » lui disait-on. Et on s’imaginait lui faire plaisir !

Criquet tapait parfois du pied sur le trottoir ; elle dessinait du bout de son parapluie des arabesques dans la fange, puis le plongeait dans le ruisseau pour en laver la pointe.

Tout à coup, elle aperçut à un étalage de fruitier une corbeille de noix blondes auxquelles adhérait