Page:Viollis - Criquet, 1913.djvu/16

Cette page a été validée par deux contributeurs.
4
criquet

comme le flot bouge, là-bas, autour des rochers en pointe, cela fait des pattes noires qui remuent…

Camille suit d’abord les contours de l’île, du bout du doigt, amoureusement, comme si elle les caressait. « La jolie forme ! » pense-t-elle. En face, les roches noires dressent au-dessus de l’eau leur tête furieuse, puis s’abaissent, s’étirent des deux côtés et se perdent dans les grèves dont les liserés d’or se rejoignent enfin. Camille s’en souvient : il y a là-bas, dans ce sable, de tout petits œillets roses qui sentent si fort !

Elle parcourt ensuite des yeux les champs de blé déjà roussis par juillet, les avoines plus pâles, la tache obscure du bois où l’on trouve des mûres violettes, très juteuses, les quelques villages dont les maisons basses, blanchies à la chaux, éclatent au soleil. Elle fait un signe d’amitié au phare qui élève au-dessus de l’île son fuseau gris et, chaque soir, jette au passage le regard soupçonneux de son gros œil rouge. Puis :

— Bon ! soupire-t-elle joyeusement. On n’a pas construit d’horribles villas toutes neuves, comme celles des arches de Noé. C’est toujours mon île à moi, mon île que j’aime… Mais qu’est-ce qui me chatouille donc le nez ? Pas des larmes, je suppose ?

Elle se met les deux poings dans les yeux, frotte avec vigueur, puis, pour bien se prouver qu’elle ne pleure pas, pousse quelques cris aigus en se balançant d’avant en arrière et d’arrière en avant.