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Elle mit ensuite sa robe de voyage, en serge bleue avec une guimpe claire et revint à sa culotte et à son chandail étalés sur le lit. Elle les tourna, les retourna, les lissa longuement, les flatta avec des doigts tendres. La culotte était élimée et luisante ; le jersey déteint, et plein de reprises maladroites, gardait la forme d’un corps et les manches semblaient vivantes, rondes du haut, avec une pointe au coude.

— Vous êtes vieux, vous êtes laids, murmurait-elle, mais je vous aime… Je ne pourrai jamais vous revoir sans tristesse et sans joie et il faudra que je sois bien vieille pour ne pas sauter et courir aussitôt !

Elle prit à sa ceinture une tige de menthe verte, l’épingla au chandail qu’elle roula avec la culotte dans un mouchoir propre et déposa le tout dans une armoire. Ses yeux étaient pleins de larmes.

« Je vais partir, c’est fini, se disait-elle avec détresse. Les autres années, j’étais triste aussi parce que les vacances finissaient et qu’il fallait se remettre au travail ; mais mon cœur ne s’accrochait pas comme aujourd’hui : il partait avec les chevaux, avec le train qui siffle et qui court, avec la vie si grande et si gaie. Cette fois-ci, j’ai peur ; on dirait que je m’en vais pour toujours, ou qu’une autre, que je ne connais pas encore, me remplacera dans cette chambre.

Mais pendant qu’elle se lamentait ainsi, avec une douceur un peu vague, Criquet entendit tout à coup, devant la maison, un bruit de roues et des pas de