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criquet

— Voulez-vous bien retourner dans la marmelade. s’écriait-il d’une grosse voix ; tas de loustics, va !

Le vieux pêcheur descendant au même hôtel depuis un quart de siècle, on ne l’y traitait plus que comme un meuble antique et négligeable ; bien souvent on oubliait de prendre ses poissons pour les faire cuire. Il ne s’en apercevait même pas, ayant l’odorat aussi émoussé que la vue, et continuait avec une heureuse inconscience à transporter dans le même récipient poissons frais, poissons pourris, escargots, vers et viande.

— Alors, il y a vingt-cinq ans que vous connaissez l’île Aulivain ? reprenait Camille.

Elle aimait à lui entendre redire cet étonnant propos.

— Bientôt vingt-six. Il n’y venait pas encore d’étrangers ; rien que des pêcheurs… Quant au phare il n’en était pas question ; on pendait une grosse lanterne à l’extrémité du cap de Ker-Babu, c’était tout. Aussi, dans les premières années, j’ai bien vu deux ou trois naufrages.

— Et des noyés ?

— Oui, des noyés. On en a retrouvé un sur la grève, là-bas ou les mouettes sont posées. Les crabes lui avaient mangé le nez et il y en avait plein ses bottes, qui grouillaient…

Criquet contemplait avec horreur le sable rose et lisse. Le vieux monsieur sortait alors de sa poche