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criquet

l’air bleu et tomber mollement. Elle se piquait un peu les jambes en la cherchant et quand elle l’avait découverte, elle enlevait parfois une de ses sandales pour extraire une épine, puis repartait lentement, le nez en l’air.

Des oiseaux blancs au ventre lourd, des oiseaux noirs au cou de canard et aux pattes palmées qui, sur les plages souvent désertes, suivaient en reculant l’ourlet écumeux du flot, la voyant apparaître de loin, s’enlevaient d’un seul vol avec des cris sauvages, tournoyaient un instant au-dessus de sa tête, puis s’abattaient plus loin, sur les vagues où on les voyait se balancer, plonger et disparaître.

Criquet ne songeait pas à les atteindre de ses flèches. Elle avait perdu la foi. Un jour, elle avait trouvé à la pointe de sa flèche une touffe de poils de lapin : c’était son unique victoire. Mais quelle joie délirante alors, quels espoirs illimités elle en avait conçus !

Elle se rappelait aussi avec un sourire un peu triste, un peu railleur, les jours où, hantée par les récits de Télémaque, elle parcourait farouchement le sable, son arc en arrêt, poussant des cris de guerre et de défi ; tout à coup, apercevant autour d’elle les traces nombreuses de ses pas, elle se croyait escortée d’une troupe de guerriers et les excitant de la parole et du geste, pleine d’orgueil et d’ardeur, elle les lançait à la bataille…