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criquet

Suzanne l’arrêta :

— Donne-la-moi tout de même ta lettre…

Elle la happa d’un geste rapide, la mine gourmande.

— Tu vas bien t’habiller pour le dîner, je pense ? dit-elle ensuite.

— Pour le dîner ? Qu’est-ce qui vient donc ? Oh ! monsieur d’Ailly ! Ce que je m’en moque de celui-là !

— Monsieur d’Ailly est un jeune homme très bien, déclara Suzanne d’un ton piqué ; maman l’estime beaucoup.

— Ce n’est pas un jeune homme, cria Criquet avec fureur ; c’est un vieux monsieur ! Il a le sourcil tout tordu par cette espèce de verre cassé qu’il se fourre dans l’œil ; ses joues sont creusées de lignes et quand il se baisse pour saluer on voit un rond blanc dans ses cheveux…

Suzanne descendait l’escalier étroit, sans répondre ; sa tête dorée, très droite, éclairait l’ombre, sa jupe glissait sur les marches avec un bruit de feuilles.

Camille posa sa joue brûlante sur la rampe.

« C’est drôle, songeait-elle, elle n’avait pas l’air fâché que Jacques ait de la peine… C’est méchant, les filles ! »

Les impressions de cette longue journée défilaient tour à tour en tourbillonnant dans son cerveau : la lettre de Michel, le soleil, le désespoir de Jacques, ses baisers, le cimetière, le crabe pourri, la fille aux eaux