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criquet

donne-la moi cette lettre ; je la porterai moi-même à Suzanne et… je lui dirai ce que j’en pense, va !

Elle souligna sa phrase d’un hochement de tête décidé.

— Elle est toute mouillée, ma lettre, gémit le jeune homme.

— Tant mieux. Ça fera bien. Donne-la moi… Oh ! on dirait que les limaces s’y sont promenées… Et maintenant sèche tes yeux, et va-t’en pêcher au grand rocher. Je te donnerai la réponse ce soir.

— Il n’y en aura pas… C’est inutile. Tout le monde est contre moi : Suzanne, tes parents, maman qui me disait hier : « Tu ne dois pas songer à te marier avant d’avoir une situation… Il faut compter huit ou dix ans… Alors, tu pourras avoir des prétentions et épouser qui tu voudras… » Qui je voudrai ! Quelle ironie ! Elle avait deviné, j’en suis sûr, et c’est tout ce qu’elle trouvait pour me consoler !…

Les derniers mots avaient été prononcés comme par une bouche pleine de bouillie et il sanglotait maintenant avec des han ! de petit enfant ; de temps à autre il s’arrêtait pour renifler. Ses yeux pâles étaient encore plus pâles et brouillés, son gros nez retroussé brillait et semblait remonter vers ses sourcils maigres que marquait une ligne rouge. Sa bouche faisait une vilaine grimace, un peu ridicule et sa gorge un bruit de clapet.

Criquet songeait qu’un homme qui a le bonheur