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feuilles épaisses et veloutées du bouillon blanc dont les fleurs d’or au cœur pourpre sentent la tisane chaude et la maladie. Le soir, Criquet a les dents vertes comme un petit cheval…

Un bêlement grêle lui fait tout à coup lever la tête. Sur le talus, une chèvre tend vers elle un museau surpris et vif entre deux oreilles roses traversées de soleil. Criquet caresse son échine étroite dont on sent chaque nœud sous le poil rêche.

— Brave Blanchette, tu m’as reconnue ! Tu es aussi maigre que moi et tu as des yeux fous… Papa dit que je te ressemble… T’es-tu sauvée comme l’autre jour, en emportant ton piquet ? Qu’as-tu fait de ta patronne ?

Traînée au bout d’une corde par deux moutons camus qui broutaient à coups de tête saccadés, avec des regards brusques de leurs gros yeux de verre, s’avançait une fille osseuse, la bouche ouverte, le front bas sous ses cheveux décolorés par l’air marin. On l’appelait « la fille aux eaux grasses », parce qu’après chaque repas elle allait dans les maisons des étrangers quêter l’eau de la vaisselle pour ses porcs et ses veaux.

— Comme vous voilà loin de chez vous, Jeanne-Marie, dit Criquet.

— Oui, dame… J’ai suivi le long de la route, à cause des étrangers de la Négraie qui attendaient aujourd’hui du beau monde avec des robes de Paris… Je ne les ai point vus, mais j’ai rencontré mademoiselle Suzanne avec sa demoiselle Anglich ; elle avait un chapeau