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criquet

» Que Dieu t’ait en sa sainte garde, miss Winnie et tante Éléonore itou. Amen ! »

Criquet, du bout des lèvres arrondies, répète lentement les mots, elle les suit du doigt sur la page comme pour les caresser ; elle essaie de leur donner un visage, un sourire, une voix. Mais, en dépit de tous ses efforts, elle ne parvient pas à les attendrir. Il lui semble même qu’ils lui échappent et dansent sous ses yeux une ronde goguenarde en tirant la langue et en fronçant le nez. Ils ricanent, ils lui font mal : Michel, c’est évident, est heureux loin d’elle, plus qu’il ne l’a jamais été ; il ne l’a point regrettée ; il a des amis qu’elle ne connaîtra pas, des secrets qu’il ne lui dira plus.

Certes, Criquet est raisonnable : elle sait bien qu’un garçon ne peut pas écrire des lettres affectueuses, comme une fille, qu’il doit cacher ses émotions et paraître se moquer de tout. Dans ses lettres à Michel, elle-même s’efforce bien de prendre le ton qu’il faut, un ton indifférent et dégagé. Mais tout de même, oh ! tout de même, ce n’est pas la même chose !

Ah ! si seulement elle était un garçon, elle pourrait l’accompagner… Elle n’aime guère les villes, les casinos, mais elle resterait près de lui, elle saurait ce qu’il fait, ce qu’il pense, elle ne le quitterait pas, ils seraient deux hommes qui marchent et rient ensemble dans la vie. Il n’aurait pas besoin de ces amis qu’elle déteste…