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ALEXIS DURAND.

Alors que des Romains le dernier proconsul
Renversa dans nos bois le temple d’Irminsul ;
Ou bien quand des Normands la horde sanguinaire
Assiégea dans Paris Louis le Débonnaire.

Le temps a tout détruit ; on n’a plus pour les bois
La vénération qu’on avait autrefois ;
Les Dieux n’y viennent plus recevoir nos hommages ;
On n’y voit plus errer de sanglantes images ;
De ses doux attributs l’arbre est désenchanté ;
Son ombre est sans terreur, son front sans majesté.
Toi seul as conservé ce sombre caractère
Qui semble recéler un effrayant mystère.
Magnifique, éloquent, bien que silencieux,
Véritable pasteur de ces sauvages lieux,
Ton aspect nous remplit de surprise et de crainte ;
On hésite à percer la ténébreuse enceinte,
Où jamais en été les rayons du soleil
Ne virent folâtrer le papillon vermeil.

Et, pourtant, rien ne manque à ces belles retraites ;
Tous les sites charmants chantés par les poètes,
Et ceux qu’ont reproduits les plus doctes pinceaux,
Ne sont rien, comparés à ces mouvants berceaux ;
On s’y croit transporté sous la vague profonde
De ces vastes forêts des premiers jours du monde,
Quand, pour venger les cieux, la foudre, en longs éclats,
N’avait point mutilé leurs gigantesques bras.
Ô vieux héros des bois ! ta monstrueuse tige
Aisément au rêveur fait croire ce prodige ;
Soit qu’il médite, assis sous la noire épaisseur
Du hêtre, ton voisin, ton rival en grosseur,
Qui se rit de la foudre, et, dans les cieux qu’il cache,
Balance les rameaux de son triple panache,
Soit que, cherchant des lieux à l’homme plus soumis,
Il salue, en passant, ces deux chênes amis