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ait été réellement maintenu, soit que les artistes, auteurs de ces peintures et bas-reliefs, aient reproduit des formes antérieures à leur temps ; de ceux-là nous ne parlerons pas. Mais, à côté de ces documents, il en est d’autres qui, pour nous, ont un intérêt sérieux en ce qu’ils paraissent être inspirés par un sentiment de la réalité très-frappant ; et, en première ligne, nous citerons le célèbre jeu d’échecs d’ivoire qui provient du trésor de l’abbaye de Saint-Denis et qui passe pour avoir appartenu à Charlemagne[1]. Ce jeu comprend deux cavaliers dont l’équipement diffère. L’un (fig. 1) nous montre un homme d’armes vêtu d’une lorica composée d’écaillés de métal, bronze ou fer, posée sur une tunique descendant jusqu’au-dessous des genoux. Une sorte d’aumusse juste, de peau ou de feutre, couvre la tête, et un écu en forme d’amande est attaché au bras gauche. En A, la figure montre le cavalier de profil du côté droit, et en B est tracée la cuiller de la selle. Nous ne parlerons pas ici du harnais du cheval[2]. L’autre cavalier (fig. 2[3]) est mieux armé. Le corps et les cuisses sont revêtus d’une sorte de justaucorps de peau ou de toile couvert de tuiles de métal se recouvrant. Sur la tête est posée une calotte de métal avec aumusse de peau passant sous la cotte ; les jambes sont protégées par des chausses de peau, et entre les cuissards et ces chausses, à la hauteur des genoux, on aperçoit un bourrelet d’étoffe, comme un caleçon serré par le haut des jambières. Ce cavalier porte un bouclier circulaire couvert d’ornements et bordé de cercles de métal. En A, est montré le bras droit qui tient l’épée. L’avant-bras est nu, et, sous la manche armée, on aperçoit une autre manche d’étoffe. En B, est présenté le dos de la cotte couverte de tuiles de métal, et en C la cuiller de la selle. Ces cottes d’armes étaient faites généralement de peau ou de doubles de toile ; les plaques de métal, quelquefois en forme d’écailles, mais plus souvent rectangulaires, étaient rivées et cousues sur le vêtement, qui était bouclé latéralement de l’aisselle au genou d’un seul côté, sans quoi il eût été impossible de se couler dedans. Ainsi les boucles étant posées du côté gauche, on enfilait la jambe droite, puis le bras

  1. Ce monument, de la plus haute valeur, est déposé aujourd’hui dans le cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale. Toutes ces pièces d’ivoire sont d’une grande dimension, et, bien que le travail en soit barbare, le caractère des personnages indique une observation fidèle de la nature.
  2. Voyez Harnais.
  3. La figure 1 est la copie fidèle de l’une des pièces ; la figure 2, l’interprétation de l’autre, afin de la rendre plus intelligible. D’ailleurs, pour cette figure 2, on s’est aidé de vignettes de manuscrits datant de la même époque.