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[ DAGUE ]
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des écuyers du roi de Navarre, qui fut fait prisonnier pendant la même assemblée, nommé Colinet Doublel, « prist bonne dague en bon poing, et assist (se jeta) sur le roy Jehan, et le cuida tuer ; mais il estoit si fort armé qu’il ne lui put mal faire, et pour ce en rechut mort, si comme vous orrés[1] ».

Quand Henri de Transtamare se vit en face de son compétiteur Pierre le Cruel, lequel s’était réfugié au château de Montiel, il ne sut réprimer sa colère, et il lui taillada le visage de trois coups de dague. Pierre, furieux, se jeta sur le prince, et tous deux roulèrent à terre.

Voici ce que dit l’auteur anonyme du Costume des Français en 1446, à propos des dagues[2] : « Item, y use len encores dune autre manière de gens armez seulement de haubergeons, sallade, gantellez et harnoys de jambe ; lesquelx portent vouluntiers en leur main une faczon de dardres qui ont le fer large, que len appelle langue de bœuf, et les appelle len coustilleux. » Il ne faut pas confondre cette arme, dite langue-de-bœuf, avec celle qui portait ce nom au xvie siècle. Cette façon de dardres est une courte vouge, c’est-à-dire une lame à deux tranchants, courte, emmanchée d’un bois de 1m,50 de longueur au plus, et qui permettait aux fantassins de blesser les hommes d’armes aux défauts de l’armure, en passant la lame sous les gorgerins, sous les braconnières. Pour ce faire, il fallait que ces manches fussent assez longs pour pénétrer sous ces harnois de l’homme à cheval, et assez courts alors pour ne pas toucher le sol. — « Item, quant à la faczon de dagues et d’espeez, tant de hommes d’armes, de coustilleux, et d’archiers, sont ainsi que après sensuivent : premièrement, lesdiz hommes darmes les portent courtes et pesantes, et sont d’estoc et de taille, et les dagues longues ; item, lesdiz coustilleux portent vouluntiers des feuilles de Catheloigne[3], ung pou longuetes et estroites, et sont ung bien pou roides, et dagues pareilles ; item, les archiers les portent longues, tranchans come rasouers, et sont à deux mains, et ont dagues plus longues que les hommes d’armes ne les coustilleux, et tranchent aussi comme rasouers... »

La dague courte, à lame épaisse, très-effilée, portée par les hommes d’armes du commencement du xive siècle, est dépourvue

  1. Chron. de Pierre Cochon.
  2. Publ. par M. René de Belleval (voyez les notes).
  3. Est-ce feuille de Catalogne qu’il faut entendre, ou feuille de chélidoine, comme on dit feuille de sauge ?