Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance (1873-1874), tome 5.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l'abbaye de Saint-Denis, où elles restèrent appendues jusqu’au pillage de l’église qui eut lieu peu après. Pendant son procès : « Interrogée quelz armes elle offry à Saint Denis, respond que ung blanc harnas entier à ung homme d’armes, avec une espée ; et le gaigna devant Paris.

Interrogée à quelle fin elle les offry, respond que ce fut par devocion, ainsi qu’il est accoustumé par les gens d’armes, quant ils sont bléciés ; et pour ce qu’elle avoit esté blécée devant Paris, les offrit à Saint Denis, pour ce que c’est le cry de France.

Interrogée ce c’estoit pour ce que on les armast (sic), respond que non[1]. »

Il est difficile d’expliquer le sens de ce dernier passage ; mais la version latine qui dit : « Interrogata utrum hoc fecerit ut arma ipsa adorentur », rétablit le sens.

Il ressort de ce texte que les armes suspendues à Saint-Denis, en manière d’ex-voto, n’étaient pas les armes que Jeanne Darc portait habituellement, mais un harnais blanc qu’elle avait gagné à l’attaque des barrières de Paris.

La persistance avec laquelle la Pucelle gardait l’habit d’homme, le sens religieux qu’elle semblait y attacher, ne portant rien qui pût rappeler son sexe, permettent de supposer que son harnais était exactement semblable à celui des hommes d’armes.

Le plastron bombé de l’époque, la disposition des tassettes, couvrant les hanches, convenaient d’ailleurs aussi bien à la conformation féminine qu’à la taille de l’homme.

Dans le journal du siège d’Orléans, il est dit qu’à l’attaque du boulevard des Tournelles du pont, où elle fut blessée à l’épaule d’un carreau d’arbalète, elle n’était vêtue que d’un jazerant, c’est-à-dire d’un camail de mailles. C’était pour ce temps une armure insuffisante, mais bien d’autres que la Pucelle en portaient encore.

Cependant Jeanne Darc ne fut pas la seule femme qui se soit armée en guerre dans ces temps de luttes incessantes. Suivant sa propre déclaration, si Jeanne avait pris l’habit d’homme, c’est qu’elle voulait éloigner de la pensée de ses compagnons d’armes toute idée qui pût être une offense pour elle. Des scrupules de cette nature ne préoccupèrent pas, peut-être, les quelques femmes qui prirent le harnais de guerre, et, en chevauchant, elles prétendaient conserver les privilèges attachés à leur sexe. Avec l’armure, celles-ci conservaient donc la longue jupe d’étoffe. Un manuscrit de la

  1. Procès de condamnation de Jeanne d’Arc, par M. Jules Quicherat, t. I, p. 179.