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la famine ; lui seul avait le pouvoir d’arrêter souvent la main de l’homme violent ; quand l’ennemi était aux portes, la châsse, paraissant sur les murailles, donnait du courage aux défenseurs de la cité. Ce n’est pas tout : si le corps-saint avait le pouvoir de protéger la vie des citoyens, d’exciter leur patriotisme, de les guérir de leurs maux et de détourner les calamités qui les affligeaient, il était encore une source de richesse matérielle, non-seulement pour l’église, mais pour la population au milieu de laquelle il résidait, en attirant de nombreux pèlerins, des étrangers, en devenant l’occasion de fêtes qui étaient presque toujours aussi bien commerciales que religieuses. Il nous suffit, nous le croyons, de signaler cette influence pour faire comprendre que rien aujourd’hui, si ce n’est peut-être le drapeau pour l’armée, ne remplace le corps-saint au milieu de nos cités. Qui donc oserait traiter de superstition le sentiment qui fait que le soldat se jette au milieu de la mitraille pour reprendre un morceau d’étoffe cloué à une hampe ? Et comment nous tous, qui regardons cet acte comme un simple devoir que l’on ne saurait discuter, dont l’accomplissement fait la force d’une armée, comme le symbole de la discipline et du patriotisme le plus pur, comment n’aurions-nous plus, à défaut de foi vive, un profond respect pour ces châsses qui, elles aussi, ont été si longtemps en France l’arche de la civilisation ? Et cependant nous avons vu et nous voyons encore des églises se défaire de ces meubles vénérables, les vendre à des brocanteurs, s’ils ont quelque valeur, ou les laisser pourrir dans quelque coin obscur parmi les immondices, si la matière en est grossière. Des églises, les châsses précieuses épargnées par la révolution ont presque toutes passé, en France, des mains du clergé dans les collections publiques ou particulières.

L’histoire des reliques de saint Germain d’Auxerre est celle de presque tous les corps-saints depuis les premiers siècles du christianisme jusqu’au XIe ou XIIe siècle. L’abbé Lebeuf l’a recueillie avec soin d’après les renseignements les plus authentiques[1] ; nous la donnons ici sommairement, afin de bien établir dans l’esprit de nos lecteurs cette distinction qu’il faut faire entre le sépulcre et la châsse.

Vers le milieu du Ve siècle, saint Germain meurt à Ravenne ; il demande en mourant que son corps soit transporté à Auxerre. En effet, ses restes sont déposés dans cette ville deux mois après sa mort. Le cercueil était de bois de cyprès, selon Héric ; il fut des-

  1. Mém. concernant l’hist. civ. et ecclés. d’Auxerre et de son ancien diocèse, par l’abbé Lebeuf, édit. 1848, t. I, p. 72 et suiv.