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CONCLUSION.

très-sérieux, et nous avouons qu’il faut avoir l’esprit mal fait pour s’en fâcher ; mais ce qui n’est qu’un travers d’esprit chez un particulier devient une inconvenance au premier chef lorsqu’il s’agit des objets destinés à l’usage du culte religieux, par exemple. Or, depuis qu’il s’est fait une réaction chez nous en faveur des arts du moyen âge, nous voyons nos églises se remplir de meubles soi-disant gothiques, ridicules par la forme, insuffisants par la matière et l’exécution, et qui n’ont d’autre avantage que de périr promptement. Le zèle, respectable, mais peu éclairé souvent, des ecclésiastiques, la modicité des ressources dont ils disposent, les ont mis à la discrétion de cette classe de fabricants qui avilissent leur profession en produisant à bas prix des objets qui, par leur nature et leur destination, exigent sinon du luxe, au moins du soin, un travail consciencieux, du savoir et le respect pour tout ce qui tient au culte. C’est là une chose funeste, et à laquelle les esprits éclairés dans le clergé apporteront certainement un remède ; car, pour quelques dignes dévotes émerveillées devant ces productions barbares, il est beaucoup de gens qui s’attristent en voyant nos églises se garnir de meubles d’un goût déplorable, prêtant à rire, mal faits, inconvenants même, et qui, sous la dorure et les oripeaux, cachent les matières les plus fragiles eu les plus grossières, un art sans forme, une exécution misérable. La pauvreté décente et modeste commande partout le respect et la sympathie, mais la pauvreté qui se cache sous l’apparence du luxe et de la richesse, et laisse voir, malgré qu’elle en ait, les haillons sous la pourpre, n’est plus la pauvreté : c’est la misère vaniteuse qui n’excite que la pitié et la raillerie.

Parmi ces splendeurs à bon marché, ce faux goût et ce faux luxe, nous sommes ravi quand nous trouvons un banc bien fait, une bonne table de chêne portant d’aplomb sur ses pieds, des rideaux de laine qui paraissent être de laine, une chaise commode et solide, une armoire qui s’ouvre et se ferme bien, nous montrant en dedans et en dehors le bois dont elle est faite et laissant deviner son usage. Espérons un retour vers ces idées saines, et qu’en fait de mobilier, comme en toute chose, on en viendra à comprendre que le goût consiste à paraître ce que l’on est et non ce que l’on voudrait être.