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CONCLUSION.

de respect, et conservant les meubles, elles conservaient les usages auxquels ils étaient destinés. Aujourd’hui les commissionnaires en vieilleries ramassent tous ces débris, les payent cher, et les paysans vont acheter à la ville voisine des meubles d’acajou ou de noyer plaqué. Or rien n’est plus ridicule que de voir ce faux luxe moderne installé dans la demeure du campagnard. Nous avons trouvé parfois ainsi des tables à ouvrage de la plus mauvaise fabrication du faubourg Saint-Antoine renfermant des oignons, leurs angles d’acajou plaqué laissant voir le bois blanc ; des commodes à dessus de marbre dont les tiroirs capricieux ne veulent pas rentrer dans leurs rainures ; des pendules de zinc représentant Geneviève de Brabant, ornant la chambre d’une paysanne. Tout cela avait été échangé contre une vieille huche sculptée en bois de chêne et un coucou dont la boîte vénérable avait vu passer plusieurs générations. Bien mieux, il est tel village non loin de Paris où nous trouvâmes un piano droit dans une chaumière ; sur ce que nous demandions à la maîtresse du logis si elle touchait de cet instrument, celle-ci, ouvrant de grands yeux, nous répondit : « Mais c’est une ormoëre. » Et en effet, à la place du clavier, il y avait des fourchettes et des couteaux, et le coffre inférieur s’ouvrant à deux battants renfermait du pain, du sel et des objets de ménage : un commis voyageur avait fourni ce meuble étrange en remplacement d’un vieux coffre incrusté de cuivre. Il n’y a pas grand mal à cela. Cependant il est toujours bon que les choses soient à leur place, les meubles comme le reste ; et si le luxe de mauvais aloi que nous voyons aujourd’hui pénétrer partout n’a pas sur les mœurs une fâcheuse influence, il faut avouer qu’il tend à avilir l’art industriel, si brillant et si fécond pendant plusieurs siècles en France.

Aujourd’hui, tout le monde veut être meublé avec le luxe qui convient à un financier ; mais comme peu de gens possèdent une fortune qui permet de payer ce qu’ils valent des meubles somptueux et bien faits, il en résulte que les fabricants s’évertuent à donner l’apparence du luxe et de la richesse aux objets les plus vulgaires comme façon et matière. On ne trouve partout que tables garnies de cuivre, mais qui ne tiennent pas sur leurs pieds, que fauteuils sculptés et dorés dont les débris jonchent les parquets, que tentures de laine et de coton qui simulent la soie.

Nous ne prétendons pas qu’il faille, au milieu du XIXe siècle, s’entourer de meubles copiés sur ceux qui nous sont laissés par le moyen âge. Et s’il paraît ridicule aujourd’hui de voir une femme en robe bouffante assise sur un fauteuil imité d’un siége grec, il ne