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CONCLUSION.

Des maisons particulières, décorées à l’extérieur comme celles dont nous voyons quelques débris dans nos vieilles villes françaises, devaient être garnies intérieurement de meubles en rapport avec cette richesse ; si quelque chose doit surprendre, c’est qu’on ait pu si longtemps croire au dénûment et à la simplicité barbare des habitants de ces demeures. Le luxe décroît chez les bourgeois vers la fin du XVIe siècle ; cela tient principalement aux longues guerres religieuses qui ruinèrent alors la portion élevée de la classe moyenne. La renaissance, qui produisit de si gracieuses compositions et modifia les meubles comme l’architecture, fit abandonner bon nombre d’habitudes attachées à notre vieux mobilier français. A peine la bourgeoisie avait-elle commencé à remplacer les décorations intérieures de ses appartements (ce qu’elle ne pouvait faire qu’avec plus de lenteur que la noblesse), que la guerre civile éclata. Sous Henri IV, la bourgeoisie respira ; mais la révolution dans les arts était terminée, les traditions s’étaient perdues ; les mobiliers des châteaux comme des maisons ne se rattachait plus guère au passé. La réformation avait apporté avec elle certaines habitudes de simplicité qui n’étaient pas faites pour développer le goût. Les seigneurs les plus riches s’étaient pris d’engouement pour tout ce qui venait d’Italie, Les corps de métiers, si florissants au commencement du XVIe siècle, avaient vu s’éteindre les traditions du passé et ne possédaient pas encore un nouvel art applicable aux objets usuels de la vie. Si bien qu’au commencement du XVIIe siècle, alors que l’architecture civile prenait un nouvel essor, tout ce qui tenait au mobilier était comparativement grossier, d’une exécution lâche, d’un goût bâtard, visant au magnifique et n’arrivant qu’à faire lourd et gros. Si l’Italie brillait par ses monuments des XVe et XVIe siècles, elle n’avait à nous fournir, pour le mobilier, que des objets d’un usage incommode et assez rares. On était venu en France, à cette époque, à faire de l’architecture en petit lorsqu’on voulait une armoire, un cabinet, un dressoir, et nous avions pris ce faux goût à nos voisins d’outre-monts. Ce ne fut guère que pendant le siècle de Louis XIV que la France reconquit, dans la fabrication des meubles, la juste influence qu’elle avait conservée pendant plusieurs siècles. Ce prince fit de grands efforts pour organiser des fabriques d’objets mobiliers, comme chacun sait, et de son temps la noblesse ne pensa plus guère à imiter dans les châteaux les meubles inutiles et fastueux qui sont clair-semés dans les palais de Rome. En plein XVIe siècle tous les gens de bon sens ne croyaient pas qu’il fallût tout prendre à l’Italie, et comme preuve nous terminons par cette boutade d’Henri Étienne :