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CONCLUSION.

Dès le XIe siècle, Venise était non-seulement un entrepôt du commerce du Levant et de l’Occident ; c’était déjà une ville industrieuse, manufacturière. Venise tirait des laines de Flandre et d’Angleterre, et fabriquait des draps qu’elle vendait sur les côtes d’Asie et à Constantinople ; ne pouvant lutter avec les drapiers flamands et français qui fabriquaient à meilleur marché, puisqu’ils possédaient chez eux la matière première, elle laissa entrer les draps étrangers, et en échange elle livrait aux marchands occidentaux des épices, du sucre, de l’ivoire, des soieries, des tapis, des meubles ou ustensiles précieux, du verre coloré, du coton tissé, de la toile de lin d’Égypte, des lames d’or et d’argent, de la cire, des fourrures qu’elle tirait de Russie. A l’Orient, outre ses draps, elle fournissait du cuivre, de l’étain affinés, du fer, du bois, des armes (ce qui était, de la part des gouvernements chrétiens, l’objet de reproches incessants), des canevas, de la toile, des cuirs façonnés, du savon. La multitude d’artisans qui affluaient à Venise fit instituer des juges, des inspecteurs et toute une hiérarchie de fonctionnaires veillant à la fabrication, à la navigation, au trafic. A la fin du XIIe siècle déjà, la douane vénitienne fonctionne régulièrement pour les marchandises importées de l’étranger, soit par la voie de mer, soit par la voie de terre. Au commencement du XIIIe siècle, il existe des consuls étrangers. C’est donc à Venise qu’il faut chercher le nœud des arts industriels en Europe. C’est elle, qui la première, fabrique et exporte. Placée entre l’Orient et l’Occident, c’est chez elle que la plupart des objets nécessaires à la vie journalière de la classe riche prennent une forme, un style partie oriental, partie occidental. Venise est, pendant la première période du moyen âge, un vaste creuset dans lequel se fondent les traditions de l’antiquité romaine, les arts de l’Orient, quelques industries des barbares, pour former les modèles de tout ce qui tient au mobilier, aux ustensiles, aux vêtements, aux armes adoptés par les Occidentaux. Il ne faut donc pas s’étonner si, dans le mobilier primitif du moyen âge, on trouve des éléments étrangers que l’architecture laisse à peine entrevoir, des formes qui sont empreintes d’une influence orientale très-franche ; c’est dans les tissus principalement que l’on reconnaît cette influence, dans de petits meubles ou ustensiles de marqueterie ou de métal fondu, facilement transportables. On constate cependant qu’en France, dès le XIIIe siècle, les arts industriels s’affranchissent de cette influence ; ils ont leurs écoles, leur style particulier beaucoup mieux caractérisé qu’en Italie, qu’en Allemagne et en Angleterre. Les corps de métiers réglementés à cette