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et de Noyon. Il dit[1] : « … Que l’on joint d’abord les planches avec soin, pièce à pièce, et à l’aide de l’instrument à joindre dont se servent les tonneliers et les menuisiers (le sergent). On les assujettit au moyen de la colle de fromage… » L’auteur donne ici la manière de faire cette colle : « … Les tables assemblées au moyen de cette colle, quand elles sont sèches, adhèrent si solidement, qu’elles ne peuvent être disjointes ni par l’humidité ni par la chaleur. Il faut ensuite les aplanir avec un fer destiné à cet usage. Ce fer, courbe et tranchant à la partie intérieure, est muni de deux manches, afin qu’il puisse être tiré à deux mains. Il sert à raboter les tables, les portes et les écus, jusqu’à ce que ces objets deviennent parfaitement unis. Il faut ensuite les couvrir de cuir, non encore tanné, de cheval, d’âne ou de bœuf. Après l’avoir fait macérer dans de l’eau et en avoir raclé les poils, on en exprimera l’excès d’eau : dans cet état d’humidité, on l’appliquera (sur le bois) avec la colle de fromage. » Dans le chapitre xix, Théophile indique le moyen de couvrir ces panneaux revêtus de cuir d’un léger enduit de plâtre cuit ou de craie ; il a le soin de recommander l’emploi de la toile de lin ou de chanvre, si l’on n’a pas de peau à sa disposition ; puis enfin, au chapitre suivant, il donne les procédés pour peindre ces tables ou portes en rouge, ou de toute autre couleur, avec de l’huile de lin, et de les couvrir d’un vernis.

Le goût pour les meubles plutôt décorés par la peinture que par la sculpture paraît s’être affaibli à la fin du XIVe siècle ; à cette époque, les moulures et les ornements taillés dans le bois prennent de l’importance et finissent par se substituer entièrement à la polychromie. Il faut dire qu’il en était alors de la menuiserie et de l’ébénisterie comme de la construction des édifices ; on aimait à donner à la matière employée la forme qui lui convenait. Les larges panneaux, composés d’ais assemblés à grain d’orge ou simplement collés sur leurs rives, mais non barrés, emboîtés ou encadrés, exigeaient des bois parfaitement secs, si l’on voulait éviter qu’ils ne vinssent à se voiler, ils se désassemblaient facilement, se décollaient ou se fendaient, malgré les préparations auxquelles ils étaient soumis et les toiles, cuirs ou parchemins collés à leur surface. On prit donc, pendant les XIVe et XVe siècles, le parti de ne donner aux panneaux des meubles que la largeur d’une planche, c’est-à-dire de 18 à 25 centimètres, et d’encadrer ces panneaux, afin de les maintenir plans, d’empêcher leur coffinage. Ce fut une véritable révolution

  1. Cap xvii.