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[ DRESSOIR ]
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gneurs et les souverains ne semblent pas avoir possédé une vaisselle somptueuse. Pendant l’époque féodale, les habitudes de la vie intérieure étaient simples, et les grands possesseurs de fiefs préféraient employer leurs trésors à bâtir des châteaux forts, à tenir près d’eux un grand nombre d’hommes d’armes, à les équiper et les nourrir, qu’à acheter de la vaisselle d’or ou d’argent. C’est depuis Charles V surtout que l’on voit apparaître ce désir d’étaler un luxe excessif. Ni les malheurs qui accablèrent la France pendant le XVe siècle, ni la misère des classes inférieures, ne purent arrêter les progrès du mal. Le peu de matières d’or ou d’argent que laissèrent les guerres dans ce malheureux pays étaient soustraites à la circulation pour décorer les dressoirs de la haute noblesse.

Dès la fin du XIVe siècle, la maison de Bourgogne, puissante, possédant les domaines les plus productifs de l’Europe d’alors, faisait parade de sa richesse, donnaient des fêtes qui surpassaient comme luxe tout ce que l’on peut imaginer. La cour de France était plus jalouse encore peut-être de cette splendeur que de la prédominence politique qu’avaient acquise les ducs de Bourgogne. C’était donc à qui, à Paris ou à Dijon, éclipserait son rival par un déploiement de luxe inouï, par la montre d’une grande quantité de vaisselle d’or et d’argent, d’orfévrerie de table, par des largesses et des fêtes renouvelées à de courts intervalles.

C’est aussi pendant le XVe siècle que des meubles, et particulièrement ceux d’apparat, prennent une importance inconnue jusqu’alors. Les dressoirs, qui étaient plutôt des meubles de luxe que d’utilité, se rencontrent dans toutes les descriptions de fête, de banquets, dans les entrées mêmes des personnes souveraines, car les bonnes villes en établissaient alors, chargés de vaisselle, en plein air ou sur des litières transportées pendant le passage des princes ; ils les suivaient jusqu’à leur logis, où, bien entendu, on les laissait[1]. (Voy. Litière.)

  1. Suivant Nicod, ce qui distingue le dressoir du buffet, c’est que le premier n’a jamais de tiroirs ni d’armoires à portes. Le dressoir ne sert qu’à étaler la vaisselle qu’on lire du buffet. « Jacquemart Canisset, charpentier, fait un crechoir à coulombe (à tablettes ou compartiments) pour l’hôtel de ville de Béthune, au commencement du XVIe siècle. » (Voy. les Artistes du nord de la France, par M. le baron de Mélicocq. Béthune, 1848.)