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[ CUIR ]
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Le gentilhomme qui avait dans son hôtel une nuée de familiers trouva insupportable de manger devant deux ou trois gaillards chargés de lui donner une assiette ou de lui verser du vin ; il fit approcher la crédence de la table à manger, ferma la porte sur le dos des laquais, et put causer à son aise avec les deux, trois ou quatre convives invités à sa table ; on mit dès lors des roulettes aux pieds de la crédence, et elle prit un nom indiquant son usage. Aujourd’hui, le plus petit bourgeois qui tient un valet à gages se croirait déshonoré s’il se servait lui-même ; s’il invite un ami, quitte à rendre le repas ennuyeux comme un dîner de table d’hôte, il prétend que le laquais soit là. Le bourgeois a repoussé la servante de son père avec dédain ; nous en avons vu bon nombre dans les greniers.

Nos buffets de salle à manger et nos caves à liqueur fermées à clef sont encore une dernière tradition de la crédence du moyen âge.

CUIR peint, gaufré, doré (voy. Tenture). L’usage de peindre, dorer, argenter et gaufrer le cuir est fort ancien, puisque le moine Théophile donne la manière de le préparer pour recevoir la décoration[1]. Mais il semblerait que, de son temps, au XIIe siècle, on n’employait guère le cuir dans l’ameublement que comme un moyen de recouvrir des tables, armoires, panneaux : il ne paraît pas qu’on en ait fait des tentures fabriquées comme celles que nous possédons encore et qui datent des XVIe et XVIe siècles. Cependant on savait, dès les premiers siècles du moyen âge, peindre, dorer et gaufrer le cuir libre, non collé sur panneau, et on l’employait dans les équipements et harnachements militaires ; il est donc probable qu’on s’en servait aussi parfois pour recouvrir des meubles, des dossiers de bancs, des stalles, etc.[2]. Au XVIe siècle, les cuirs-tentures se fabriquaient principalement à Paris, à Rouen, en Allemagne et en Brabant.

  1. Cap. XIX.
  2. Voyez la Descript. hist. des maisons de Rouen, par E. Delaquérière, l. I, p. 430. et t. II, p. 1G8.