Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 9.djvu/546

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[voûte]
— 543 —

ture[1], s’exprime ainsi au sujet de ces voûtes : « Ces façons de voûtes ont été trouvées fort belles, et s’en voit de bien exécutées et mises en œuvre en divers lieux du royaume, et signamment en ceste ville de Paris, comme aussi en plusieurs autres. Aujourd’huy ceux qui ont quelque cognoissance de la vraye Architecture, ne suivent plus ceste façon de voulte, appellée entre les ouvriers la mode française, laquelle véritablement je ne veux despriser, ains plustot confesser qu’on y a faict et pratiqué de fort bons traicts et difficiles. Mais pour autant que telle façon requiert grande boutée, c’est-à-dire grande force pour servir de poulser et faire les arcs-boutans, afin de tenir l’œuvre serrée, ainsi qu’on le voit aux grandes églises, pour ce est-il que sur la fin de ce présent chapitre, pour mieux faire entendre et cognoistre mon dire, je descriray une voulte avec sa montée, telle que vous la pourrez voir soubs la forme d’un quarré parfaict, autant large d’un costé que d’autre, ou vous remarquerez la croisée d’ogives, etc. » Ainsi, quoi que puissent prétendre les critiques plus ou moins officiels de notre Académie des beaux-arts, au XVIe siècle encore, ces voûtes étaient considérées comme françaises (par les ouvriers, il est vrai ; mais, en fait de traditions, le langage des ouvriers est le plus certain). Or, comme l’architecture du moyen âge dérive en très-grande partie du système de voûtes, il faut en prendre son parti, et admettre que nous avions une architecture française et reconnue comme telle du XIIe au XVe siècle. Mais le texte de Philibert de l’Orme est intéressant à plus d’un titre. Notre auteur admet que ceux qui ont quelque « cognoissance de la vraye « architecture ne suivent plus ceste façon de voulte », et le premier exemple qu’il donne d’une voûte propre à couvrir un vaste vaisseau, après ce préambule, est une voûte gothique en arcs d’ogive sur plan carré, avec liernes et tiercerons. Quant aux exemples qu’il fournit « sur la fin de son chapitre », ce sont des tracés de voûtes sphériques pénétrées par un plan quadrangulaire, voûtes qui ne peuvent être faites sur de grandes dimensions, qui sont d’un appareil difficile, dispendieux, qui sont très-lourdes, et poussent beaucoup plus que ne le font les voûtes gothiques. Et en effet, jusqu’au commencement du XVIIe siècle, les constructeurs français, quelque « cognoissance » qu’ils eussent « de la vraye architecture », continuaient à bâtir des voûtes sur les vaisseaux larges, avec arcs-doubleaux et arcs ogives : l’église de Saint-Eustache, à Paris, en est la preuve, et elle n’est pas le seul exemple. La pratique était en ceci plus forte que les théories sur « la vraye architecture », et, n’ayant point trouvé mieux, on continuait à employer l’ancien mode, jusqu’au moment — et cela sous Louis XIV seulement — où l’on adopta, pour les grands vaisseaux, des berceaux de pierre avec pénétrations, comme à Saint-Roch de Paris, comme à la chapelle de Versailles, comme dans la nef des Invalides, etc.

  1. L’Architecture de Philibert de l’Orme. Paris, 1576, livre IV, chap. viii.