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milieu de la verrière, qui possédait trois larges bordures d’ornements dans lesquelles le blanc tenait une grande surface. Mais ce dessin ferait supposer que les griffons du XIIe siècle et leurs médaillons avaient été encadrés beaucoup plus tard, peut-être au XVIe siècle[1]. On peut conclure néanmoins, de l’existence de ces fragments, qu’au XIIe siècle on fabriquait des vitraux d’ornements avec coloration.

Les grisailles pures, dont nous n’avons d’exemples qu’au commencement du XIIIe siècle, devaient cependant exister avant cette époque, car le dessin de celles que nous possédons accuse la trace de traditions antérieures au XIIIe siècle. Chalons-sur-MarneDans les magasins de Saint-Denis, à Chalons-sur-Marne, à Saint-Remi de Reims, on retrouve encore des fragments de verres blancs peints qui proviennent très-probablement de grisailles du XIIe siècle. Ces anciens débris sont puissamment modelés, avec demi-teintes, suivant la méthode adoptée pour les ornements de couleur. Le dessin en est plein, large, fortement redessiné avec fonds relativement réduits et remplis d’un treillis en noir ou enlevé au style sur noir. Les verres employés alors sont épais, légèrement verdâtres ou enfumés, souvent remplis de bouillons, ce qui leur donne une qualité chatoyante très-précieuse. Habituellement ces verres blancs sont peu fusibles et ont été moins altérés par les agents atmosphériques que les verres colorés, lesquels sont profondément piqués, surtout à l’orientation du midi[2].

Voici (fig. 39) une grisaille qui provient de l’église abbatiale de Saint-Jean au Bois près Compiègne. Elle est complétement dépourvue de verres colorés et date de 1230 environ, bien qu’elle conserve encore, surtout dans sa bordure, le caractère de dessin du XIIe siècle. C’est surtout dans ces compositions de grisailles que l’on peut reconnaître combien les artistes verriers savaient profiter de la mise en plomb pour appuyer le dessin. Les plombs forment les compartiments principaux, combinés de manière à éviter les angles aigus trop fragiles. À ce point de vue, le beau panneau que nous retraçons ici (fig. 40), provenant de la chapelle de la Vierge de la cathédrale d’Auxerre, est un chef-d’œuvre de composition. Cette grisaille est de même dépourvue de verres colorés ; elle occupe une large fenêtre, et chaque carré porte d’angle en angle 0m,55. Une bordure blanche à filets unis l’encadre. Son aspect est blanc nacré, d’un ton extrêmement fin et doux. Dans ces deux exem-

  1. La verrière dont il est ici question a été fidèlement reproduite dans l’ouvrage de M. J. Gailhabaud, l’Architecture et les arts qui en dépendent, tome II. Mais cette reproduction donne, avec les griffons et leur entourage du XIIe siècle, les restaurations sans aucun caractère et d’une harmonie de ton déplorable qui ont été faites il y a trente ans.
  2. À la cathédrale de Chartres notamment, certains verres sont tellement piqués et recouverts de lichens, qu’ils ont perdu toute translucidité. Il faut observer que les verres du XIIIe siècle sont plus altérés que ceux du XIIe, ce qui ferait supposer qu’au XIIIe siècle déjà on avait cherché à rendre les verres plus fusibles par des fondants. À ce compte, les vitraux que nous faisons aujourd’hui seront perdus dans deux ou trois siècles.