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drale de Strasbourg qui montre combien les traditions romanes s’étaient conservées encore au milieu du XIIe siècle, et combien ce dessin se rapproche des formes admises dans l’ornementation sculptée. Les tons de ces vitraux se rapprochent d’ailleurs de la coloration habituelle du XIIe siècle : ils sont clairs ; les blancs, les bleus, les jaunes et les verts clairs dominent. Ainsi les têtes d’animaux sont bleu clair, les cercles blancs, les feuilles vert d’émeraude et jaune-paille. Les fonds sont rouges ; le filet de gauche, turquoise, et le filet perlé à côté, jaune or ; le filet à droite commence par un blanc, puis des plaques pourpres alternent avec des bagues jaunes entre lesquelles est un vert ; un filet bleu est accolé à cette bordure, et, près des cercles, un filet blanc. Le bleu saphir et le rouge occupent les moindres surfaces ; les tons rompus clairs sont en majorité. Une architecture dans les tons verts, blancs, jaunes et bleus clairs, composée de deux colonnes avec une archivolte, ajoute à ces bordures et enveloppe le fond rouge sur lequel se détachent les personnages, tenus également dans des tons limpides[1]. Pour les chairs, les verriers rhénans emploient généralement des verres moins colorés que ceux choisis par nos artistes français. Nous reproduisons ici (fig. 38) une tête d’un personnage (saint Timothée) qui se voit dans une fenêtre de la chapelle de Saint-Sébastien accolée à l’église de Neuviller. Ce vitrail, dont il ne reste que la partie supérieure, paraît appartenir, comme style, à une époque très-ancienne ; cependant la forme des lettres de l’inscription placée au-dessus du nimbe ne saurait faire remonter ce vitrail au delà du milieu du XIIe siècle. Le caractère de la tête du saint est tout empreint de la tradition grecque et rappelle les plus anciennes mosaïques de Saint-Marc de Venise[2] ; ici les demi-teintes sont posées par hachures, retouchées sur quelques points au grattoir. Au total, l’exécution de ce vitrail n’indique pas l’habileté que l’on observe dans l’exemple que nous avons donné (fig. 29 bis).

C’est à la fin du XIIIe siècle seulement que les verriers rhénans paraissent abandonner entièrement les traditions de l’art du XIIe siècle. C’est aussi à cette époque, ainsi que le prouve la construction du chœur de la cathédrale de Cologne, que le style dit gothique s’empare de l’architecture. Les maîtres architectes, comme les maîtres peintres, veulent alors dépasser les modèles français qui leur servent de types, ils prétendent aller au delà, et à cette époque déjà ils tombent dans le style maniéré, que nous ne voyons apparaître dans nos provinces que cin-

  1. Ces vitraux de la cathédrale de Strasbourg se voient encore aujourd’hui dans les fenêtres du bas côté septentrional de la nef, qui date du XIIIe siècle ; mais ils ont évidemment été replacés là et appartenaient à l’église du XIIe siècle. Le style des figures ne laisse pas de doute à ce sujet.
  2. Le fac-simile de ce vitrail nous a été communiqué par M. Steinheil. La chapelle à laquelle il appartient passe pour avoir été bâtie sous Charlemagne, et en effet sa construction peut remonter à cette époque ; mais nous ne pensons pas que la verrière donnée ici puisse avoir été peinte avant le commencement du XIIe siècle.