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pensaient pas que cette coloration montée pût s’allier à la clarté des grisailles. Cependant, si étendues que fussent les surfaces vitrées dans les monuments, leur coloration rendait les intérieurs des vaisseaux très-sombres. Dès la seconde moitié du XIIIe siècle, on songea donc à donner plus de lumière dans l’intérieur des édifices en composant des verrières partie en grisailles, partie en panneaux colorés. On conçoit sans peine que cette innovation dut changer complètement les conditions d’harmonie. Les surfaces blanc nacré des parties en grisailles devaient faire paraître lourdes et obscures les surfaces colorées-voisines. On introduisit donc dans ces dernières de grandes parties claires, des bleus limpides et verdâtres, des jaunes, des rouges et pourpres très-clairs, des blancs verdâtres ou rosés. D’ailleurs les panneaux légendaires ou les grandes figures isolées étaient toujours entourés d’un fond bleu, le plus souvent avec filets d’encadrement. Outre la plus grande masse de lumière, on obtenait ainsi une économie notable sur la vitrerie des grands édifices, car les grisailles, même les plus chargées, ne coûtent pas la moitié du prix de revient des vitraux colorés. Dans les fenêtres hautes de la cathédrale d’Auxerre, qui datent de la seconde moitié du XIIIe siècle, on avait déjà tenté l’emploi de ce moyen ; mais là les grisailles sont d’un dessin très-large et ferme qui combat la trop grande lucidité de ces surfaces claires, incolores, opposées, dans une même fenêtre, à des surfaces colorées. La grisaille n’occupe qu’une faible partie du vitrail, et compose comme une marge entre le sujet principal et la bordure toujours colorée. Voici un exemple tiré des hautes fenêtres du chœur de cette cathédrale (fig. 33)[1]. Le fond de la figure et du dais qui la surmonte est bleu ; les tons du dais sont : le blanc, le jaune, le vert pâle avec touches rouges dans les deux petites baies latérales. Cette harmonie très-claire sert de liaison entre les deux bandes B de la grisaille. Il en était de même du socle, détruit aujourd’hui et remplacé par un panneau du XVIe siècle ; le personnage porte une robe vert d’émeraude, un manteau pourpre clair, un bonnet vert, un phylactère blanc. La bordure est composée de feuilles vert bleuâtre et jaunes sur fond rouge. La lumière donnée par ces sortes de verrières est d’autant plus brillante, qu’elles se détachent sur la partie supérieure du ciel. Pour combattre l’effet dévorant de cette lumière dans les bandes en grisailles, celles-ci sont peintes en traits épais avec treillissé très-fourni entre les ornements, si bien que, près de l’œil, la surface des lumières est moins importante que celle occupée par la grisaille opaque. Dans le même fenestrage du chœur de la cathédrale d’Auxerre, des grisailles occupant la même place sont mêlées de touches et de filets en couleur. L’effet est moins franc, moins compréhensible. C’est cependant à ce dernier parti que les peintres verriers de la fin du XIIIe siècle

  1. Voyez l’ensemble de ce fenestrage dans l’ouvrage du R. P. Martin. Voyez l’ouvrage de M. F. de Lasteyrie.