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mière, qui consiste à tracer avec le pinceau les premières ombres ou plutôt les ombres principales, une seconde, qui consiste à passer une légère demi-teinte comme un glacis ; puis une troisième, qui consiste à poser une demi-teinte lavée assez intense à côté de ces ombres, en enlevant des clairs, pour laisser entre cette demi-teinte et l’ombre des traits déliés, aussi pour obtenir les grandes lumières. Voilà le procédé sommairement indiqué ; voyons, en examinant les vitraux du XIIe siècle, comment on obtenait ce résultat. Sur ces vitraux, on remarque en effet un premier travail d’ombres fait par hachures, non absolument opaques, très-fines et transparentes à leur naissance, très-pleines aux points où l’ombre prend de l’importance, mais encore transparentes. Après ce premier travail, le verre a dû subir une première cuisson, ce que ne dit pas Théophile, mais ce qu’indiquent parfaitement les anciens verres. Cette première ombre, étant ainsi vitrifiée, ne pouvait se délayer par l’apposition d’une deuxième teinte. Le peintre posait donc cette seconde teinte, qui faisait la demi-teinte forte, et il avait le soin de limiter son étendue, de dessiner son contour, en grattant le verre avec la hampe du pinceau, notamment entre cette demi-teinte forte et l’ombre. Il n’avait pas à craindre d’enlever celle-ci déjà vitrifiée, ce qui facilitait l’exécution de ce travail délicat. Posait-il la demi-teinte la plus légère avant celle plus intense ? Cela est probable, rien ne l’empêchait de le faire ; mais ce qui est important, et ce dont Théophile ne dit mot, c’est que, par-dessus l’ombre principale cuite, sombre, mais transparente, le peintre posait des traits opaques, le pinceau étant chargé d’une couleur épaisse, pour obtenir des renforts d’ombres sans aucune translucidité. Les verres étaient de nouveau remis au four, et les demi-teintes, ainsi que les traits de force, se vitrifiaient[1]. Ceux-ci ont une saillie très-sensible au toucher, sont empâtés ; en un mot, parfaitement nets, sans bavures ni fusion avec la première ombre. C’est ainsi que sont modelés les beaux vitraux du XIIe siècle, de Notre-Dame de Chartres, de l’église abbatiale de Saint-Denis, de la cathédrale de Bourges (anciens). Prenons (fig. 16) un morceau d’un vitrail du XIIe siècle que nous reproduisons grandeur d’exécution. Avec la couleur brune, sombre, mais encore translucide, le peintre a tracé les plis principaux de cette manche, puis la pièce a été mise au four. Cette première préparation vitrifiée, il a posé les demi-teintes en enlevant les clairs avec un style, et sur l’ombre vitrifiée les traits opaques épais, empâtés. À la partie inférieure du coude, le peintre a posé une demi-teinte par hachures fondues par-dessus la première ombre évidemment vitrifiée, car autrement les linéaments déliés de cette première ombre auraient été détrempés et brouillés par le liquide tenant la demi-teinte en suspension. On voit que,

  1. Nos peintres verriers qui ont habilement restauré des verrières du XIIe siècle, notamment MM. Coffetier et A. Gérente, ont dû procéder de cette manière. Des fragments de ces verrières entre nos mains prouvent la double opération de la cuisson.