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avec ces mêmes bleus, et des bleus indigo et avec des verts d’émeraude. L’association du vert et du bleu, si périlleuse, donne à ces artistes coloristes des tonalités d’une finesse extraordinaire, et dont on ne peut trouver d’exemples que dans certains émaux persans et dans les fleurs de nos champs. Tout le monde a pu reposer ses regards sur l’harmonie si douce de la fleur du lin sur la verdure. Mais de même que la nature a mis toujours des verts assortis à chaque coloration de fleur, de même ont fait ces artistes, et peut-être s’inspiraient-ils de ces modèles. Toujours est-il que, dans les grands vitraux ou dans les vitraux à sujets légendaires des XIIe et XIIIe siècles, jamais le regard n’est heurté par ces taches qui apparaissent dans les verrières des époques postérieures. L’harmonie n’est jamais dérangée par une touche mise mal à propos ; tout se tient, se lie, comme dans les beaux tapis d’Orient.

Il y a évidemment, pour chaque composition, pour chaque vitrail, une tonalité admise par le compositeur ; on pourrait presque dire qu’il y a des verrières en ton mineur, des verrières en ton majeur. Cela est sensible dans les édifices où il existe un grand nombre de ces verrières, comme les cathédrales de Sens, de Bourges, du Mans, de Chartres, de Tours, de Troyes, d’Auxerre.

Jamais cependant ces verrières anciennes n’affectent ces colorations rousses, revêtues d’un glacis ambré que l’on a donné parfois à certains vitraux du XVIe siècle, que nos verriers modernes prennent pour une coloration chaude, mais qui a le grand inconvénient de manquer de lumière et de donner aux intérieurs un ton faux, sans air et sans profondeur ; si bien que dans un vaisseau tamisant cette coloration de lampe, il semble qu’on étouffe et que tous les objets se rapprochent de l’œil.

C’est en partie au judicieux emploi des bleus dans leurs vitraux que les artistes des XIIe et XIIIe siècles doivent de donner aux vaisseaux vitrés une profondeur et une atmosphère nacrée qui les font paraître plus élevés et plus vastes qu’ils ne le sont réellement. Le bleu est donc la base de la coloration des vitraux ; mais c’en est aussi l’écueil, écueil sur lequel les artistes du XIIIe siècle ont parfois échoué en donnant à quelques-unes de leurs verrières une tonalité violette désagréable ou une tonalité froide à l’excès, qui affecte le sens de la vue comme un acide affecte le palais[1].

Dans les vitraux du XIIe siècle ; les bordures prennent beaucoup d’importance, comme on peut le reconnaître par l’exemple que nous avons donné (fig. 7 et 8) ; quant aux fonds entre les sujets, ils sont réduits autant que possible, et se composent d’ornements plutôt que de semis ou quadrillés, ainsi qu’on le pratiqua au XIIIe siècle. À cette époque, où l’on multiplia les vitraux légendaires, c’est-à-dire composés de petits sujets compris dans un même vitrail et jetés sur une sorte de

  1. Parmi ces verrières d’une tonalité violacée, nous citerons l’une de celles de la sainte-Chapelle de Paris (côté sud, près du sanctuaire), et parmi celles d’une tonalité froide excessive, la rose du nord de Notre-Dame de Paris.