Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 9.djvu/370

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[vierge]
— 367 —

livre dans sa main gauche, mais qui, plus tard, passe son bras droit derrière le cou de sa mère et joue avec un oiseau. Alors le visage de la mère sourit et se tourne parfois vers la tête de l’enfant. C’est la mère par excellence, la femme revêtue d’un caractère divin, et c’est bien à elle, en effet, que la foule s’adresse ; c’est elle qu’elle implore, c’est en son intervention toute-puissante qu’elle croit, et l’Enfant n’est plus dans ses bras que pour marquer l’origine de cette puissance.

Bien entendu, nous ne prétendons ici, en aucune façon, discuter la question dogmatique ; nous ne faisons que rendre compte des transformations qui furent la conséquence de l’intervention laïque dans la représentation de cette partie de l’iconographie sacrée. Le mouvement des esprits religieux vers le culte de la Vierge acquit, pendant le XIIIe siècle, une importance telle, que parfois le haut clergé s’en émut ; mais il n’était pas possible d’aller à l’encontre. On ne s’adressait plus, dans ses prières, qu’à la Vierge, parce qu’elle était, aux yeux des fidèles, l’intermédiaire toujours compatissant, toujours indulgent et toujours écouté entre le pécheur et la justice divine. On conçoit combien ce sentiment fut, pour les artistes et les poëtes, une inépuisable source de sujets. Cela convenait d’ailleurs à l’esprit français, qui n’aime pas les doctrines absolues, qui veut des palliatifs à la loi, et qui croit volontiers qu’avec de l’esprit, un heureux tour, un bon sentiment, on peut tout se faire pardonner.

Pour le peuple, la Vierge redevenue femme, avec ses élans, son insistance, sa passion active, sa tendresse de cœur, trouvait toujours le moyen de vous tirer des plus mauvais cas, pour peu qu’on l’implorât avec ferveur[1]. Dans les légendes des miracles dus à la Vierge, si nombreuses au XIIIe siècle, parfois poétiques, souvent puériles, il y a toujours un côté gaulois. C’est avec une dignité douce et fine que la Vierge sait faire tomber le diable dans ses propres pièges. Les artistes, particulièrement, semblent posséder le privilège d’exercer l’indulgente sollicitude de la mère du Christ ; musiciens, poëtes, peintres et sculpteurs lui rendent-ils aussi à l’envi un hommage auquel, en sa qualité de femme, elle ne saurait demeurer insensible.

Toujours présente là où son intervention peut sauver une âme ou prévenir un danger ; exigeant peu, afin de trouver plus souvent l’occasion de faire éclater son inépuisable charité ; ses conseils, quand parfois elle en donne, sont simples et ne s’appuient jamais sur les récriminations ou les menaces. Telle est la Vierge que nous montrent les légendes, les poésies, et dont les sculpteurs et les peintres ont essayé de retracer l’image. C’est là, on en conviendra, une des plus touchantes créations du moyen âge et qui en éclaire les plus sombres pages.

La Vierge possède d’ailleurs les privilèges de la Divinité, car c’est de

  1. Voyez la légende de Théophile (Rutebeuf). Voyez le Livre des miracles de la Vierge, manuscrits de la biblioth. du séminaire de Soissons.