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avant cette époque, dans la contrée, des traces de portes percées à travers des ouvrages carrés ou barlongs. Telle est la porte Brunet, à Saint-Émilion, dont la construction est encore romane, bien qu’elle ne remonte guère plus loin que le commencement du XIIIe siècle. Une des portes de Cadillac offre une disposition curieuse, parmi les ouvrages de cette nature. Ce ne fut qu’en 1315 que la clôture de la bastide de Cadillac et ses portails furent commencés[1]. Les habitants devaient élever les murs, et le seigneur du lieu, Pierre de Grailly, les quatre portails bons et suffisants. Il paraîtrait que de ces quatre portails, le sire de Grailly n’en éleva que deux. Or, voici l’un de ceux-ci, dit porte Garonne, construit avec la plus grande économie, mais présentant une disposition peu commune.

Des fossés de 20 mètres de largeur environ, remplis par les eaux de l’Œille, entourent l’ancienne bastide. La porte Garonne projette toute son épaisseur en dehors de la courtine, dont les chemins de ronde continuent derrière elle, et bat le fossé. Voici (fig. 72) le plan de cette porte au niveau du rez-de-chaussée, en A, et au niveau du premier étage, en B. Dans ce dernier plan, on voit en a le chemin de ronde de la courtine, que l’ouvrage n’interrompt pas. Les mâchicoulis et meurtrières b sont percés à 2 mètres en contre-haut du sol de ce chemin de ronde, et ne pouvaient, par conséquent, être servis par les gens postés sur ce chemin, mais bien par les soldats placés sur un plancher de bois que l’on voit tracé en d dans la coupe longitudinale (fig. 73) ; or, on ne pouvait se placer sur ce plancher qu’en passant par une porte percée au niveau du plancher du premier étage en e (voyez le plan B), et l’on ne pouvait monter sur ce plancher que par une échelle mobile tracée en f (voyez la coupe 73) et qui partait du sol de la porte. Les gardes de la porte avaient donc l’unique charge de veiller à sa défense et ne communiquaient pas avec les chemins de ronde des courtines. Comme, d’après la charte d’établissement des défenses de Cadillac, ce sont les habitants qui construisent l’enceinte et le seigneur qui élève les portes, il se pourrait que la garde de celles-ci eût été confiée seulement aux gens du sire de Grailly. Eux seuls auraient pu ouvrir les portes, eux seuls devaient les défendre. Le seigneur aurait eu ainsi moins à redouter les conséquences de la faiblesse, du découragement, ou même de la négligence des bourgeois, assez disposés en tout temps à ne pas affronter les longueurs et les privations d’un siége.

S’entendre avec des ennemis et leur faciliter les moyens de passer un fossé plein d’eau, de 20 mètres de largeur, et d’escalader un rempart de 10 mètres, c’était là un acte de trahison que de braves gens ne pouvaient accomplir ; mais laisser surprendre le poste d’une porte ou

  1. Voyez la Guyenne militaire, par M. Léo Drouyn, t. II, p. 255. Voyez aussi, dans le même ouvrage, la porte de Saint-Macaire, dite porte de Cadillac, laquelle est sur plan barlong et couronnée par une simple rangée de mâchicoulis.