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par ces grands engins ne pouvaient produire d’effet qu’autant qu’ils passaient par-dessus les défenses et qu’ils retombaient, soit sur les combles des tours, soit dans les places. Du Guesclin, bien qu’il ne fît pas trop usage de ces machines de guerre et qu’il préférât brusquer les attaques, les employa parfois, et lorsqu’il les mit en batterie devant une forteresse, ce fut toujours pour démoraliser les garnisons par la quantité de projectiles dont il couvrait les rues et les maisons[1].

Si les défenses étaient très-hautes, les projectiles ne faisaient que frapper directement leurs parements et ne pouvaient les entamer[2]. Le trouvère Cuvelier, dans la Vie de Bertrand du Guesclin, raconte comment, au siège du château de Valognes, à chaque pierre que lançaient les engins des assiégeants, un homme de garde venait frotter les moellons, par dérision, avec une serviette blanche. Il a le soin de nous dire aussi, dans le même passage, comment la garnison avait fait blinder les tours avec du fumier, pour éviter l’effet des projectiles lancés à la volée :

« De fiens y ot-on mis mainte grande chartée. »

La grande puissance donnée alors aux engins obligeait les architectes militaires à surhausser les tours et les courtines. Mais s’il s’agissait d’une place couvrant une grande superficie, on ne pouvait donner à ces courtines un relief très-considérable sans de grandes dépenses ; aussi sous Charles V prit-on de nouvelles dispositions. Jusqu’alors on

  1. « Et… (du Guesclin) prit son chemin et son retour, et tous les seigneurs de France en sa compagnie, pour venir de rechef devant la cité d’Usson, en Auvergne, et l’assiégèrent ; et firent là le duc de Berry, le duc de Bourbon et le connétable, amener et charrier grands engins de Riom et de Clermont, et dresser devant ladite forteresse, et avec tout ce appareiller grands atournemens d’assaut. » (Froissart, Chron., cccxxix.)
  2. « Encontre Bertran a la deffense levée :
    N’i avoit sale amont qui ne fust bien semée ;
    De fiens y ot-on mis mainte grande chartée,
    Par coi pierres d’engien, qui laiens soit getée,
    Ne mefface léons une pomme pelée.
    Car Bertran ot mandé par toute la contrée
    Pluseurs engiens, qu’il fist venir en celle anée,
    De Saint-Lo en y vint, cette ville alozée ;
    Bertran les fist lever sans point de l’arrestée.
    Pardevant le chastel (de Valognes), dont je fuis devisée
    Ont dréciez .VI. engiens getans de randonnée,
    Mais en son de la tour, qui fu haulte levée,
    Il avoit une garde toute jour ajournée,
    Qui sonnoit .I. becin, quant la pierre est levée ;
    Et quant la pierre estoit au chastel assenée,
    D’une blanche touaille (serviette), qui li fut présentée,
    Aloit frolant les murs, faisait grande risée ;
    De ce avoit Bertran forment la chière irée. »

    (La Vie vaillant Bertran du Guesclin, par Cuvelier, trouvère du XIVe siècle, v. 5076 et suiv.)