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plus nous nous enfonçons dans les profondeurs du moyen âge, plus nous trouvons des usages qui ne sont nullement romains. Dans l’une ou l’autre de ces hypothèses, il faudrait reconnaître, ou que la nation gauloise était restée fidèle à ses mœurs antiromaines, malgré la possession romaine, ou qu’elle s’est empressée de saisir la première occasion qui lui permettait de reprendre des habitudes qui lui étaient chères et qu’elle n’avait pas abandonnées volontiers. Il y a peu de temps, il est vrai, que l’on s’est mis à étudier et à écrire l’histoire en regardant au delà des événements politiques, lesquels n’ont pas sur les nations l’influence qu’on leur a prêtée si longtemps. Conquérir un peuple ou changer ses mœurs, ce sont deux opérations bien différentes, et nous voyons que, même de nos jours, des populations nominativement englobées dans une circonscription politique, dévoilent tout à coup des tendances, des goûts, des aptitudes anti-pathiques à cette classification politique.

Que les études archéologiques et ethnologiques aient été pour quelque chose dans ces manifestations modernes, cela est possible, et expliquerait même la répulsion instinctive de quelques personnages pour ces études ; mais le symptôme ne se manifesterait pas si la cause n’existait pas. Or, dans les recherches historiques, les symptômes ou les effets, si l’on veut, doivent être signalés avec soin, sous quelque forme qu’ils se présentent. Donc, pour en revenir à l’objet qui nous occupe, nous croyons que dès l’époque mérovingienne, la salle prend un rôle très-important. Ces barbares, ces Francs venus du nord-est, qui envahissent le sol gaulois, bâtissent des salles, ou transforment des édifices gallo-romains de manière à posséder avant tout une salle propre à réunir leurs leudes, et à organiser ces banquets homériques qui duraient tant qu’il restait des vivres à consommer. Rien de semblable dans les habitudes des Romains. La basilique romaine était un édifice public, sorte de bourse où se traitaient toutes sortes d’affaires ; lieu de rendez-vous, tribunal où l’on rendait la justice. Mais la basilique romaine n’avait pas le caractère individuel de la salle des mérovingiens. Le Romain, chez lui, recevait peu de monde ; sa vie se passait sur la place publique, dans les thermes ou sous les portiques. Ses clients, ses affranchis, l’attendaient à la porte de sa maison, sur la voie publique. Entre la famille du Romain et ses clients, si nombreux ou si gros personnages qu’ils fussent, il y avait toujours une barrière infranchissable. Or, les auteurs anciens qui ont décrit les mœurs des Gaulois nous les représentent tous comme aimant les réunions nombreuses, les banquets, les assemblées, comme introduisant facilement dans leurs maisons, non-seulement leurs proches, les hommes du clan, mais les étrangers ; comme se plaisant à l’hospitalité plantureuse. Les conquérants barbares manifestent les mêmes goûts, et la nation gauloise tout entière, loin d’être romanisée sous ce rapport, et de réagir contre ces mœurs des nouveaux venus, les adopte, ou, ce qui paraît plus probable, n’avait jamais cessé de les pratiquer. Si, pour un chef franc, la salle était l’habitation tout entière, si les villæ mérovingiennes consistaient surtout