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Toute œuvre sortie du cerveau humain, dans le domaine des lettres aussi bien que dans celui des arts, ne peut vivre que si elle possède ce qu’on appelle : le style.

Le style appartient à l’homme et est indépendant de l’objet. En poésie, par exemple, il y a la pensée ou l’impression, et la manière de l’exprimer, de la faire pénétrer dans l’âme de l’auditeur : c’est le style. Sur cent témoins oculaires d’un fait, un seul, en le racontant, produira sur son auditoire une impression profonde. Pourquoi ? Parce qu’il a mis le style dans sa narration. Ce style lui appartient, et cependant, pour émouvoir, il faut qu’il soit le style, c’est-à-dire qu’il agisse sur tous. Dix peintres font le portrait d’une même personne, dans des conditions identiques. Tous ces portraits sont ressemblants. Un seul rappelle aux personnes qui connaissent l’original, non-seulement ses traits matériels, mais sa physionomie, ses façons d’être, son esprit, son caractère enjoué ou mélancolique. Ce peintre possède le style.

Nous revenons à notre première définition, savoir : Le style est la manifestation d’un idéal établi sur un principe. En effet, dans l’exemple que nous venons de donner, si la physionomie, le caractère, les allures appartiennent bien à l’original du portrait, l’opération qui consiste à se pénétrer de ces qualités et de ces attributs, de telle sorte que, sur un panneau, l’apparence de ces qualités et attributs soit inexprimée ; cette opération appartient à l’artiste et est la conséquence d’un principe auquel il se soumet. Nous appelons cette opération un idéal, parce qu’il a fallu que l’artiste fît de ces qualités et attributs un tout, un ensemble dans lequel certains traits ont été atténués, tandis que d’autres ont dû être mis en relief. On nous pardonnera de prendre ici un côté vulgaire de cette faculté pour en faire comprendre la valeur. Une charge, si elle est bonne, a toujours du style, parce que l’artiste qui l’exécute a pris les côtés les plus saillants d’une physionomie pour les exagérer au delà de toute vraisemblance. Tous les peuples vraiment artistes ont fait des charges, celles-ci ne sont que le dérèglement d’une faculté qui appartient aux poètes, aux artistes seuls. On sentira facilement combien la voie est étroite entre le réalisme absolu qui consisterait à photographier l’objet, l’idéalisme poussé jusqu’à la charge, et la platitude qui se met à la remorque d’un prétendu classicisme et s’abrite derrière son autorité. L’impression que produit un objet sur les artistes varie en raison des facultés de chacun d’eux ; donc, l’expression diffère : mais ceux-là seuls

    quelques-uns semblent l’admettre, du ton local, c’est-à-dire de l’harmonie adoptée par le peintre, sinon comme couleur, au moins comme répartition de la lumière, pourquoi ne pas dire : harmonie de lumière, ou harmonie de couleurs, ce que tout le monde comprendrait ? On préfère un mot vague, un non-sens, qui passe pour technique, mais que l’on se garde d’expliquer. Cela n’aurait pas de bien grands inconvénients, si ces non-sens ne jetaient pas souvent dans l’esprit des jeunes artistes un vague, une incertitude funestes. Nous avons connu des peintres qui cherchaient le clair-obscur, un indéfinissable, un inappréciable, un nous ne savons quoi ; ils y perdaient et leur temps et leur jugement.