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[sommier]
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naissante n’avait pas encore étouffé le sentiment vrai de l’art, ne pensaient pas qu’une moulure pût naître de rien, ou tomber brusquement sur un autre membre sans une attache, une racine, une base. Ils ne se décident à supprimer cette racine des moulures d’arcs que quand ceux-ci ne sont plus, pour ainsi dire, qu’une prolongation des faisceaux de colonnettes composant les piliers, et que les chapiteaux sont réduits à l’état de bagues ornées séparant les membres verticaux des membres courbes. Aussi l’importance décorative des sommiers diminue-t-elle quand la section des piliers se rapproche de celle des arcs, pour s’effacer entièrement, si ces piliers se composent d’un nombre de membres égal à celui de ces arcs.

Dans le chœur de l’église de Notre-Dame de la Coulture, au Mans, il existe une disposition indiquant bien nettement le rôle que les architectes du XIIe siècle assignaient au sommier. Les arcs de la voûte, comprenant un arc ogive et deux formerets, reposent sur trois colonnettes dont les tailloirs sont rectangulaires. Cependant l’arc ogive est mouluré avec arête saillante (voyez en A, fig. 3, le profil de cet arc ogive) ; l’architecte a posé entre ce profil d’arc et le tailloir une statue entière avec son dais, qui sert de base au profil. Des fenêtres refaites et agrandies au XIVe siècle sous les formerets ont détruit la belle ordonnance de cette abside, mais les arcs ogives sont restés intacts avec leur grand sommier pris dans une seule assise. Toutefois dans cette disposition toute primitive, il reste des indécisions, des parties imparfaites ; les arcs formerets tombent assez gauchement sur des colonnettes qui paraissent trop grosses pour les porter. Les tailloirs des chapiteaux ne portent pas bien ces formerets ; ceux-ci naissent brusquement sur leur inutile saillie. Peu à peu ces tâtonnements disparaissent, il n’y a plus de ces membres saillants sans raison, et les nervures des arcs s’enracinent sur les chapiteaux avec une énergie surprenante. Un des plus beaux exemples de ces sommiers disposés avec adresse et raison se trouve dans la salle du rez-de-chaussée du donjon de Coucy.

Le plan de cette salle[1] est un dodécagone avec douze renfoncements en forme de niches sur chaque face. Dans les douze angles rentrants sont douze colonnettes isolées, mais dont les bases et les chapiteaux tiennent à la bâtisse. Des douze chapiteaux partent les arcs ogives de la voûte et les colonnettes qui reçoivent les formerets à un niveau relevé[2]. Voici, fig. 4, en A, les sections horizontales de la colonnette, du tailloir du chapiteau, de l’arc ogive et des colonnettes portant les formerets. On voit que ces colonnettes et leur base débordent la saillie du tailloir du chapiteau. Il s’agissait en effet, à la hauteur d’homme, de prendre le moins de saillie possible pour ne pas gêner la circulation et pour dégager les pieds-droits des niches. Sur cette colonnette si grêle (puisqu’elle n’a que 0m,155), il

  1. Voyez Donjon, fig. 35.
  2. Voyez Donjon, fig. 39.