Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 8.djvu/437

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[siège]
— 434 —

dignes d’admiration, quoique ces ouvrages aient toujours le défaut de l’accumulation des moyens défensifs et des courts flanquements.

Devant ces perfectionnements de l’art de la fortification, il s’agissait de s’établir solidement et de procéder à l’aide de moyens très-puissants. Mais tel est l’empire de la tradition, que le principe de certains systèmes d’attaque persiste en dépit des nouveaux engins adoptés. Si l’assiégeant ne fait plus des beffrois roulants, ni même des plates-formes atteignant ou dépassant le niveau des crénelages de la place attaquée, il continue longtemps encore à élever de gros boulevards en terre d’un relief considérable pour battre à distance les remparts et pour enfiler les courtines. L’artillerie ne possédait pas alors de projectiles creux, ou du moins ces sortes de projectiles n’étaient-ils employés que rarement et ne produisaient-ils que peu d’effets, à cause de la faible portée des bombardes au moyen desquelles on les lançait. Le tir à ricochet n’avait point été méthodiquement pratiqué ; il fallait voir les points à battre, et nécessairement établir des batteries de siège ayant un commandement considérable. Dès 1500 on élevait, autour des places, des bastions ou boulevards, avec épaules. Les bouches à feu couvertes par ces épaules ne pouvant être démontées par des batteries de ricochet, force était, s’il fallait éteindre leur feu, de dominer le niveau supérieur du boulevard pour envoyer des projectiles plongeants par-dessus les épaules. Aussi, dans les rentrants, établit-on, au commencement du XVIe siècle, des casemates où les pièces se trouvaient à l’abri ; puis, sur les boulevards ou derrière les rentrants des épaules, des cavaliers dont les pièces pouvaient répondre aux bouches à feu mises en batterie sur les gros boulevards des assiégeants. Ces méthodes furent suivies et perfectionnées pendant tout le cours du XVIe siècle[1]. L’Alsace fut une des contrées où ces travaux furent étudiés et exécutés avec un soin remarquable, à dater de la fin du XVIe siècle. Le traité du célèbre ingénieur Daniel Speklin, imprimé à Strasbourg en 1582, indique une suite d’observations pratiques d’une grande valeur. Speklin cherche déjà à soustraire les batteries établies derrière les épaules des bastions au tir de ricochet[2] ; il donne des moyens ingénieux pour remparer les brèches et arrêter les colonnes d’assaut. D’ailleurs il ne revêt que les ouvrages inférieurs, et ses cavaliers, ses traverses sont de terre. Il évite l’emploi de la maçonnerie pour les commandements élevés ; ce qui, à cette époque, est un progrès très-notable, puisqu’on établissait et que l’on conservait encore, en Allemagne et dans le nord de l’Italie, de grosses tours revêtues pour commander les ouvrages extérieurs. Il cherche à masquer les revêtements, et ses tracés ont une ampleur qui les distingue de la plupart de ceux qui furent suivis jusqu’à Vauban.

  1. Voyez le bel ouvrage de Buonaiuto Lorini, le Fortificationi, Venetia, 1609, et aussi Francesco Tensini, la Fortificatione, guardia, difesa et expugnatione delle fortezze, Venetia, 1645. — La fortification démontrée, par Errard de Bar-le-Duc. Paris, 1620.
  2. Voyez, page 33, la figure qui indique qu’alors le tir de ricochet était déjà usité.