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Quand on compare cette bataille aux malheureuses affaires de Crécy, de Poitiers, d’Azincourt, on sent la main d’un vrai capitaine, prévoyant, sachant attendre, ménageant ses moyens, mais n’hésitant plus au moment de l’action.

C’était avec cette prévoyance avant l’action, et cette décision au moment suprême, que du Guesclin enleva un si grand nombre de places fortes en si peu de temps. Mais aussi ces succès, en apparence si faciles, firent que l’on modifia le système de défense. On donna beaucoup plus de relief aux ouvrages, et principalement aux courtines ; on élargit les fossés, on couronna les tours et les murs de mâchicoulis continus de pierre qui rendaient les échelades impossibles. On augmenta sensiblement les ouvrages extérieurs, en leur donnant plus d’étendue et de meilleurs flanquements. Puis l’artillerie à feu commençait à jouer un rôle dans les sièges, et sans diminuer la hauteur des commandements, en augmentant même leur relief, on traçait autour des places fortes des ouvrages de terre pour y placer des bouches à feu[1]. En 1378, les Anglais assiégeant Saint-Malo avaient quatre cents canons, dit Froissart[2]. Toutefois ces canons (en admettant que Froissart ait entendu désigner par ce mot des bouches à feu) n’étaient que d’un faible calibre, et ne donnaient qu’un tir parabolique, car ils ne purent que lancer des projectiles dans la ville, sans même tenter de faire brèche. Le commandant en chef de l’armée anglaise, le duc de Lancastre, voyant qu’il n’avançait point ses besognes avec cette quantité d’engins, et que les assauts ne pouvaient réussir, prit le parti de faire miner. « Les mineurs du duc de Lancastre ouvrèrent soigneusement nuit et jour en leur mine pour venir par dessouz terre dedans la ville et faire renverser un pan de mur, afin que tout légèrement gens d’armes et archers pussent entrer dedans. De cette affaire se doutoit grandement Morfonace (le commandant Français) et les chevaliers qui dedans étoient, et connois-

    bien du mouvement tournant, mais il prétend que, pendant la mêlée, le captal fut enlevé par une troupe de Gascons de l’armée française, qui s’étaient conjurés à cet effet. Cela est un peu romanesque, mais Froissart recueille volontiers les renseignements qui peuvent être favorables aux Anglais. Cette manière de conspiration, qui décide du gain de la journée, laisse d’ailleurs au captal de Buch son rôle de grand capitaine. Il est d’abord entraîné, au dire de Froissart, à attaquer les Français par l’ardeur de ses officiers qui n’écoutent pas ses conseils de prudence, puis il est enlevé pendant l’action, ce qui lui ôte, pour ainsi dire, toute la responsabilité de la défaite de Cocherel.

  1. Dès 1340, des bouches à feu de position étaient montées autour des places fortes. «…S’en vinrent (les Français) devant le Quesnoy, et approchèrent la ville jusques aux barrières, et firent semblant de l’assaillir ; mais elle étoit bien pourvue de bonnes gens d’armes et de grand’artillerie qu’ils y eussent perdu leur peine. Toutes voies, ils escarmouchèrent un petit devant les barrières, mais on les fit retraire ; car ceux du Quesnoy descliquèrent canons et bombardes qui jetoient grands carreaux… » (Froissart, liv. I, part. 1re, chap. CXI.)
  2. Livre II, chap. XXIX.