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roi de Jérusalem ; de Bohémond III, prince d’Antioche ; de Raoul de Tibériade, du sire de Baruth, du sire de Sidon et de beaucoup d’autres[1] ». Le père de Richard Cœur-de-Lion lisait Végèce sous sa tente ; et si le code féodal en vigueur dans les possessions des Francs en Syrie, à Chypre, nous fait connaître combien ces barons des XIIe et XIIIe siècles étaient instruits et prévoyants, les forteresses qu’ils ont élevées dans ces contrées mettent en lumière leur intelligence utilitaire[2].

En France, si l’on étudie avec quelque soin des places fortes telles que Coucy, Château-Gaillard et tant d’autres bâties entre la fin du XIIe siècle et le commencement du XIIIe, on reconnaît bien vite un art très-complet, au point de vue de la défense. Or, est-il possible d’admettre que des hommes si intelligents pour préparer la défense ne le fussent pas autant lorsqu’il s’agissait d’attaquer. C’est au contraire la puissance et la sagacité de l’assaillant qui développent la prévoyance et l’énergie de la défense. Les barons du XIIIe siècle n’auraient pas cherché et trouvé ces ressources défensives s’ils n’y eussent été contraints par l’habileté de l’attaque. Il faut donc reconnaître qu’un siège, à cette époque, n’était pas une opération livrée au hasard et à la bravoure de gens de guerre, indisciplinés, procédant sans ensemble et sans méthode. Les plans d’attaque n’existent plus, les descriptions sont laconiques ou faites habituellement par des gens qui n’étaient pas militaires ; mais les forteresses attaquées sont en partie debout, et leur bonne ordonnance, la prévoyance qui éclate sur tous les points, indiquent assez quelle était l’étendue des moyens offensifs.

Nous avons dit, au commencement de cet article, qu’il n’y a pas d’armée là où il n’y a pas de peuple. À l’origine du système féodal, il n’y a que des guerriers, tous à peu près égaux, et au-dessous, une plèbe qui n’a aucun intérêt à partager les dangers des nouveaux conquérants. Mais quand l’organisation féodale est arrivée à son apogée, les choses ne se passent plus ainsi, et les guerres d’Orient contribuèrent beaucoup à entraîner les populations dans les travaux militaires ; bien mieux, de roturiers elles firent des chevaliers, et des chevaliers des seigneurs, parfois des seigneurs couronnés. L’art de la guerre, par la féodalité, devenait ainsi une carrière ouverte au génie, n’apparût-il que dans les rangs inférieurs de la société.

Si de nos jours un siège est une opération souvent longue, difficile et périlleuse, qui demande un chef habile, prudent, patient et tenace, cependant les travaux préliminaires, tels que l’ouverture des tranchées, l’établissement des places d’armes et des batteries, se font à une assez grande distance des ouvrages attaqués. Avant l’emploi des bouches à feu, il n’en était pas ainsi. La place investie était aussitôt attaquée, et un siège commençait dès qu’on forçait les lices ou les barrières, qu’on

  1. Voyez, à ce sujet, la Notice sur la vie et les écrits de Philippe de Navarre, par M. Beugnot, Biblioth. de l’École des chartes, 1re série, t. II, p. 1.
  2. Consulter, à l’égard de ces forteresses, les mémoires publiés par M. Emmanuel Rey.