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rière l’autel avec la patène, qu’il y tenoit cachée en regardant néanmoins le célébrant… »

Or, le retable étant un dossier posé sur une table d’autel et formant ainsi, devant le célébrant, une sorte d’écran, les retables ne furent donc placés sur les autels principaux qu’à dater de l’époque où les chœurs et les sièges épiscopaux s’établirent en avant, et non plus autour de l’abside. Et même alors, dans les cathédrales du moins, le retable ne fut guère admis pour les maîtres autels (voy. Autel). Dans son Dictionnaire, Quatremère de Quincy définit ainsi le retable : « Ouvrage d’architecture fait de marbre, de pierre ou de bois, qui forme la décoration d’un autel adossé. » Il y a là une erreur manifeste. D’abord les autels n’étaient pas et ne devaient pas être adossés, puisque certaines cérémonies exigeaient que l’on tournât autour ; puis les retables n’étaient pas et ne pouvaient pas être ce qu’on appelle un ouvrage d’architecture, mais bien un simple dossier décoré de bas-reliefs et de peintures.

Les autels primitifs n’étaient qu’une table posée horizontalement sur des piliers isolés, table sur laquelle, dans l’Église grecque comme dans l’Église d’Occident, jusqu’au XIVe siècle, on ne posait que l’Évangile et le ciboire au moment de l’office. Dans les chœurs, le célébrant pouvait ainsi être vu de tous les points de l’abside. Mais vers la fin du XIe siècle, en Occident, sans adosser jamais les autels aux parois d’un mur, puisque certaines cérémonies exigeaient qu’on en fît le tour, on plaça parfois des retables sur les tables de l’autel, pour former derrière celui-ci un réduit propre à renfermer des reliques. Ces retables étaient même le plus souvent mobiles[1], en orfèvrerie ou en bois, quelquefois recouverts d’étoffes[2]. Nous n’avons à nous occuper ici que des retables fixes, et nous n’en connaissons pas en France qui soient antérieurs au commencement du XIIe siècle. Celui que nous donnons ici (fig. 1) est un des plus intéressants. Il appartient à la petite église de Carrieres-Saint-Denis près Paris, et date de cette époque. Il est taillé dans trois morceaux de pierre de liais, et représente, au centre, la Vierge tenant l’enfant Jésus sur ses genoux ; à gauche l’annonciation, et à droite le baptême du Sauveur. Un riche rinceau encadre les bas-reliefs latéralement et par le bas.

Ce retable n’a qu’une faible épaisseur : c’est une dalle sculptée qui masquait une capsa, un coffre, un reliquaire[3]. On ne pouvait placer au-dessus ni un crucifix, ni des flambeaux. En effet, ce ne fut que beaucoup plus tard qu’on plaça le crucifix sur le retable ; jusqu’au XVIe siècle, on

  1. Voyez le Dictionnaire du mobilier français, art. Retable.
  2. Voyez l’article Autel, l’autel matutinal de Saint-Denis (fig. 7), les autels des cathédrales d’Arras et de Paris (fig. 8 et 9).
  3. Ce retable, enlevé à l’église de Carrieres-Saint-Denis, fut replacé en 1847 dans cet édifice par les soins de la Commission des monuments historiques. Il est bien conservé ; une partie de l’ornement inférieur a seule été brisée.