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Il ne nous reste que bien peu de défenses qui datent de l’époque du premier établissement des Normands sur le sol des Gaules[1], mais dans les contrées envahis et occupées par ces aventuriers, l’art de la fortification se développant plus rapidement et sur des données beaucoup plus intelligentes que partout ailleurs en France, on peut supposer que ces terribles Normands avaient apporté avec eux des éléments d’art militaire d’une certaine valeur relative. Tous les témoignages historiques nous les montrent s’acharnant à l’attaque des places fortes, tandis que les troupes gauloises sont bien vite rebutées par les difficultés d’un siège. Des hommes habitués aux constructions navales et à tous les travaux qu’exige une navigation sur des bâtiments d’un très-faible tonnage, acquièrent une adresse et une rapidité dans les manœuvres qui les rendent aptes aux labeurs des sièges. Encore aujourd’hui nos matelots sont les hommes les plus expéditifs et les plus adroits que l’on puisse trouver, s’il s’agit d’élever un épaulement, de le palissader et de le munir d’artillerie, parce qu’ils ont contracté et entretenu cette habitude de réunir instantanément leurs forces pour un objet spécial. Plus tard, lorsque Guillaume le Bâtard descend en Angleterre, on ne peut méconnaître la supériorité relative de ses troupes, soit pour construire, approvisionner et mettre à flot une flotte, soit pour opérer rapidement une descente ; soit, lorsque l’Angleterre est en partie soumise, pour élever des châteaux et des défenses propres à dominer la population des villes et des campagnes. De toutes les conquêtes faites depuis l’empire romain, aucune ne réussit mieux que celles des Normands. Du jour où ils ont mis le pied dans l’île saxonne, ils ne font que s’étendre, que se fortifier peu à peu, sans reculer d’un pas. Le même fait se présente en Calabre, en Sicile. Or, des résultats si généraux et si rares alors, ne sont pas l’effet du hasard, mais doivent dépendre d’une organisation militaire relativement forte, régulière, d’un art déjà développé, et surtout d’une habitude de la discipline qui était un fait exceptionnel alors parmi les armées occidentales. La discipline n’est jamais plus nécessaire dans les armées que quand il s’agit d’assiéger ou de défendre une place ; aussi, pendant les Xe et XIe siècles, les Normands ont pris un nombre prodigieux de forteresses ; ils ont su les défendre de manière à décourager bien souvent les troupes assiégeantes. On peut en conclure qu’indépendamment de leur bravoure, les armées normandes étaient fortes par la discipline, par l’habitude et la régularité du travail ; partant, qu’elles ont été les premières qui, au commencement du moyen âge, aient attaqué les places avec une certaine méthode.

Le système féodal primitif, incomplet encore, qui se prêtait merveilleusement à la défense morcelée, était impropre à pratiquer l’art de l’attaque des places. En effet, les troupes de gens de guerre que réunissaient les

  1. Ces défenses ne sont que des camps retranchés, des lignes propres à protéger un promontoire, une côte, contre les attaques venant de l’intérieur du pays.